mercredi 22 novembre 2023

Le jour où j'ai perdu mon nombril

 Je n'ai plus de nombril. Et la raison pour laquelle je n'ai plus de nombril est que je suis très enceinte.

Voilà, ça c'est tout à fait moi. 

Eh ouais. Y a que les imbéciles qui changent pas d'avis. 

Il faut dire que ma vie a beaucoup changé en quatre ans. Je ne suis plus prof, devant des élèves toute la journée. Je ne suis plus en mode survie permanent à cause du boulot. 

J'ai donc pu envisager d'être en mode survie permanent à cause d'un bébé. Mais les deux, c'était trop, quoi.

Mon accouchement est donc à ce jour imminent.

J'aurais pu ne pas en parler avant l'accouchement, par superstition, mais bon, je suis tellement shootée à l'ocytocine que je suis étonnamment peu angoissée, donc yolo. 

J'attends une petite fille, bien agitée, en pleine forme, que je sens gigoter dans mon ventre en permanence depuis maintenant plusieurs mois. Je sens ses petits pieds et ses petits poings sous ma peau qui apparaissent à différents endroits de mon ventre au fur et à mesure de la journée, parfois c'est une plus grosse bosse qui doit être son dos (sa tête est tout en bas, ça je le sais), bref c'est complètement dingue. Je sais, les filles, vous êtes des milliers à avoir vécu ça (enfin plus que des milliers sur Terre, et moins que des milliers à me lire, mais bon, vous avez compris), mais on a beau le savoir, quand on le vit soi-même ça reste invraisemblable. Et puis il y a encore 7 mois, je ne savais rien de ce que ce serait d'être enceinte. Ce qui fait mon quotidien aujourd'hui m'était complètement inconnu. 

Déjà, dès trois mois, on a commencé à me faire chier. Dès qu'on a annoncé ma grossesse, en fait. Parce que les gens (comprendre : la famille de Tom Pouce) ont immédiatement commencé à me faire savoir (à moi, lui personne ne l'a emmerdé) que selon eux on n'était pas censé vouloir connaître le sexe. La famille de Tom peut être très très relou avec tout ce qui est apparu après les années 40, en gros, parce que la modernité, c'est mal. Tu n'es pas censé avoir recours à la PMA parce que c'est pas naturel, tu n'es pas censé vouloir connaître le sexe parce que c'est pas naturel, tu n'es pas censé vouloir une péridurale parce que c'est pas naturel, par contre la grossesse c'est naturel et "c'est pas une maladie" donc (enfin ça c'est surtout sa mamie réactionnaire qui a bossé toute sa vie sans jamais prendre de vacances ou se plaindre) (ah, les vacances, cette "nouvelle mode" qu'elle évoque avec un certain dédain), tu n'es pas non plus censée parler de tes symptômes (que tu inventes, de toute façon, parce que la nature étant bien faite, la grossesse est sans aucune conséquence sur le corps des femmes, c'est bien connu). Bref, je suis une chochotte de ne pas vouloir manger du camembert non pasteurisé, du foie gras, de la terrine de lapin maison, les brûlures d'estomac ça n'a rien à voir avec la grossesse c'est parce que je mange trop vite (oui, on me parle comme si j'avais cinq ans), et puis comment ça tu ne veux pas reprendre deux fois de la blanquette de veau parce que ton estomac est plus petit qu'avant, non mais n'importe quoi, qu'est ce qu'il faut pas entendre. Ah et puis apparemment je ne vais pas être fatiguée du tout après la naissance parce que "la nature est bien faite" et je vais sécréter une sorte de cocaïne naturelle qui me tiendra éveillée, et aussi je dois allaiter l'enfant jusqu'à son bac. Bref, vous avez compris l'idée. 

Comme quoi la femme enceinte ne peut pas toujours faire sa princesse en toute circonstance. Même si là on me laisse la place dans les transports en commun, et ça, c'est quand même un luxe inestimable. 

Les femmes me sourient, aussi. Beaucoup. Quasiment toutes. Dans la rue. Un regard sur mon ventre, un sourire complice. C'est assez chouette, j'aime bien. Parfois elles partent en mode cheerleader, aussi, et me disent que je peux le faire, que je suis forte et que je suis "une reine". Les caissières, les coiffeuses, les serveuses, les inconnues dans les transports en commun ou dans l'ascenseur me posent des questions et parfois me racontent leur accouchement. Des mecs random aussi, parfois, me racontent combien ils ont d'enfants. Surtout, ils se contentent de me dire "bon courage". Certaines trouveraient ça intrusif (c'est sûr qu'il t'arrive un truc très intime qui est visible de tous et sur lequel les gens se permettent de donner leur avis alors que tu n'en as pas forcément envie) mais moi je trouve ça plutôt sympa, j'aime bien. 

Les gens me disent "bon courage" et pour cause : c'est vrai qu'on douille un peu (euphémisme), et pas seulement à l'accouchement. Fort possiblement davantage à 42 ans (mon âge) qu'à 22, l'âge qu'avaient la grand-mère, la mère et la soeur de Tom quand elles ont eu des enfants. Oui, j'ai pas de chance : je n'ai pas de mère, pas de soeur, pas de grand-mère, et la nana de mon père n'a jamais eu d'enfant, donc les femmes "sachantes" que je fréquente le plus et qui ont des conseils à me donner et des commentaires à me faire viennent de la famille de mon mec, ce qui me les rend plus pénibles je crois. Ce serait probablement plus facile si c'était ma propre mère ou ma propre soeur, j'aurais moins de mal à les envoyer chier (ou alors je serais d'accord avec elles, parce que j'aurais grandi avec elles). Là, je dois affronter le ressentiment induit par le fait que j'ai le sentiment d'être jugée, et travailler sur moi pour défendre mon point de vue sans être désagréable. Bref, défendre mon droit à la péridurale. 

Moi qui ai toujours trouvé que mon père et mon frère étaient trop absents, subitement je les trouve délicieusement non-intrusifs. 

De toute façon il faut que j'apprenne à m'imposer davantage, sans vociférer dans ma tête uniquement tout en me taisant par politesse : je vais avoir un enfant, ces situations vont se multiplier, et il va falloir tenter (je dis bien tenter) de ne pas être une baltringue devant mon môme.

J'ai heureusement aussi des cousines et des copines pour échanger, qui sont moins dogmatiques, n'ont pas une vision idéalisée d'une grossesse qui a eu lieu il y a 15, 40 ou 60 ans, et échangent leurs expériences sans jugement, en évoquant leurs galères avec humour : bénies soient-elles. Toutes. 

Copines et cousines qui, quand j'évoque la "péridurale ambulatoire", dont j'ai entendu parler, probablement moins dosée que la péridurale classique, me disent "Ah je ne connaissais pas. Mais bon, moi j'avais tellement mal que je voulais qu'on m'achève, donc la péridurale très dosée ça m'allait très bien !". Bref, autre ambiance. Il y a aussi celles qui ont accouché sans péridurale parce qu'elles ne voulaient pas "perdre le contrôle" et qu'elles avaient peur de la piqûre, ou parce qu'elles voulaient absolument un accouchement naturel parce que pour elles ça avait du sens, et qui pour certaines ont fini avec une péridurale quand même et l'ont vécu comme un échec : mes copines ont des récits différents, des expériences différentes, mais personne ne juge personne, et ça c'est quand même merveilleux. Ce qu'elles m'ont appris par contre c'est qu'un accouchement, c'est épique. Quelques récits tranquilles du genre "On m'a fait une péridurale alors que j'étais dilatée à 1cm et ensuite j'ai bouquiné", mais aussi beaucoup de récits apocalyptiques, et un nombre non négligeable de "C'était une expérience de mort imminente mais j'ai adoré, je le referais demain" qui me laissent perplexe. Jusqu'à ce que je le vive moi-même, probablement. La grossesse et l'accouchement, en tout cas, c'est clairement une expérience unique. 

Le premier trimestre a été dur. Très dur. Maintenant je peux le dire. Sur le coup la culpabilité de ne pas être heureuse et épanouie est immense, surtout quand comme moi tu penses à l'avortement tous les jours, mais maintenant je peux le dire. J'étais tellement, tellement mal que mes deux options semblaient être l'avortement ou l'euthanasie. Sérieusement. (Sugar Daddy : "Je ne pense pas qu'on t'aurait accordé l'euthanasie, dear"). J'avais envie de dégueuler du matin au soir, je pleurais beaucoup, j'étais morte d'angoisse, j'avais des pensées bien sordides du genre "Ah ben si c'est ça avoir un cancer - avoir envie de vomir tout le temps - je comprends que certains arrêtent de se battre et acceptent la mort". Bref, youpla boom. Une expérience désagréable, donc. Que d'autres m'ont confié avoir vécue aussi, me disant que si à l'époque elles n'avaient pas su que ça finirait par passer, si elles avaient pensé que leur vie maintenant c'était ça, clairement elles auraient mis fin à leurs jours. Le premier trimestre, donc, ça n'est pas vraiment la panacée. Et pas seulement parce que tout te donne envie de vomir et que pour te nourrir tu te retrouves à errer dans les couloirs des supermarchés à la recherche d'un truc qui te semble comestible, pour rentrer chez toi finalement avec les seuls trucs que tu as pu envisager avaler : une mangue et du kiri (ça a en gros été la base de mon alimentation au début). 

Et puis c'est passé et maintenant ça va beaucoup mieux. J'ai du diabète gestationnel, je dois me piquer le doigt six fois par jour pour tester mon taux de sucre dans le sang, je dois me priver de sucre et je rêve de banana split la nuit, j'ai des crampes, des brûlures d'estomac de bâtard, des impatiences qui m'obligent à me relever en pleine nuit pour faire des squats au milieu du salon, des démangeaisons, des rougeurs sur le visage, de l'eczéma, des acouphènes, des hémorroïdes, une capacité respiratoire très limitée, des douleurs sous les côtes parce que le bébé y fourre ses pieds en permanence, et un mal fou à me baisser (quand je fais tomber un truc par mégarde, genre mon stylo, je vous jure c'est la détresse), mais bon sinon ça va. 


En étant enceinte, j'ai réalisé que certains hommes sont enceints toute l'année. Ils ont un gros bide, ils peinent à mettre des chaussures, ils ne voient pas leur bite. Eh ben croyez-en mon expérience, c'est relou. Moi je ne suis pas loin de pouvoir voir mon pubis cela dit (celui que je ne peux pas tailler parce que j'y vois rien) : c'est une petite forêt bien touffue qui n'est pas loin de passer par dessus mon ventre ! Bref, avec ces histoires de gros bide, ça fait deux mois que je porte des espèces de Crocs de chez Jardiland parce que je ne peux plus mettre de vraies chaussures (si) (mon sex appeal est à son comble). Mais bon, n'oublions pas que pour compenser j'ai de très beaux cheveux et de très beaux ongles (#checkyourprivilege).


Et une petite fille chérie qui gigote sous ma peau, aussi. Ca c'est quand même le bon côté de la grossesse. Je dirais en gros le seul, avec les places dans le bus et le métro (non négligeable). 

Pour ce qui est des côtés plutôt cools de la grossesse, j'ai été super déçue (j'imagine que Tom aussi) mais à aucun moment je ne suis devenue une grosse chaudasse lubrique. J'ai eu un regain de rêves "érotiques", oui, mais vous n'allez pas me croire : c'était presque exclusivement des rêves de premiers émois. Genre où tu vibres à mort d'être avec un mec qui te plaît et à un moment il t'effleure la main. Ou il te vole un baiser sur la joue. Je vous jure que je ne vous mens pas. J'ai vraiment fait ces rêves. Bref, je me désespère. Meuf, sérieux, tu peux pas rêver de gang bangs comme tout le monde ? 

Donc revenons-en aux répercussions pas cools. Notamment aux répercussions du diabète gestationnel, ce truc de l'enfer qui touche apparemment une femme enceinte sur dix. Eh ben prendre l'apéro avec tes potes quand t'as du diabète gestationnel et de surcroît des brûlures d'estomac de bâtard parce que t'es enceinte, c'est vraiment tout pourri : en plus de l'alcool, t'as pas droit au sucre, pas droit aux trucs acides, et il est conseillé d'éviter les boissons gazeuses donc même le Perrier... Vivement Noël que je puisse tirer mon lait en avance puis boire du champagne !! Quoique bon, après tous ces mois d'abstinence, une coupe suffira peut-être à me mettre sous la table. Ah et puis je mangerai du banana split de Noël, aussi. Beaucoup de banana split. Clairement à la naissance je vais me rattraper et prendre tout le poids que je n'aurai pas pris pendant la grossesse parce que je ne pouvais manger que de la salade. 

Oui, généralement les femmes grossissent pendant la grossesse. Moi je vais être de celles qui grossissent après. Watch me. 

Au cours de préparation à la naissance sur l'allaitement, deux des premières questions que j'ai posées sont "Est-ce que c'est mauvais pour le bébé si je mange trois religieuses au café avant de l'allaiter ?" et "Combien de temps je dois attendre après avoir bu pour allaiter ?" (#jevaisêtreunebonnemère). Ma sage-femme, pragmatique, m'a répondu que l'idéal était de boire en allaitant (parce que ça n'arrive pas jusqu'au bébé à ce moment-là et que ça a le temps de se dissiper avant la tété suivante). Ca m'a fait bien rire. Je me vois d'ici avec mon bébé dans une main et ma petite coupette dans l'autre (santé !). 

Sinon je découvre aussi les biais de genre. Comme par exemple le fait que c'est à moi que les tantes et cousines de Thomas parlent pour proposer de me refiler des vêtements ou des jouets qu'elles ont encore de quand leurs enfants étaient petits, alors que par ailleurs on n'est pas proches. Pourquoi ne pas proposer les fringues de bébé et les écharpes de portage à Thomas ? C'est son môme aussi. Je remarque aussi que quand je lance sur ma page Facebook de grands sondages en mode UFC Que Choisir pour demander aux potes parents des conseils sur les meilleures couches ou les meilleures poussettes, il n'y a que les filles qui répondent. Certes je suis surtout amie avec des filles mais dans les faits je reçois davantage de réponses de nanas dont je ne suis pas proche que de mes amis mecs. Ca m'interpelle quand même sur le fait que tout ça, c'est très vraisemblablement un truc de meuf. Et ça se confirme quand tu lis des livres de puériculture (j'en ai lu beaucoup, Thomas pour l'instant pas un seul)(il faut aussi dire pour sa défense que je suis une grande angoissée qui a besoin d'avoir le sentiment de tout maîtriser très en avance pour se rassurer alors qu'il est super chill)(disons que j'anticipe beaucoup : enceinte de trois mois, j'achetais déjà des fringues en 18 mois, un cheval à bascule et je me renseignais sur quand mon enfant ferait ses dents (pas avant 6 mois)) : ces livres, les pères en sont souvent pour ainsi dire absents. Ils ne sont pas évoqués. C'est sidérant. Et du coup je m'inquiète parfois un peu. 

Titiou Lecoq raconte bien dans Libérées qu'on a beau être en couple avec un mec féministe et progressiste qui a lu Le Deuxième Sexe, quand on a des mômes les vieux schémas sexistes se mettent en place malgré nous. J'ai très très confiance en Tom - qui est le mec le plus féministe que je connaisse -, qui l'autre jour a passé la serpillère dans l'appart en écoutant Abba à fond pendant que je glandais, me fait à bouffer tous les soirs depuis maintenant 7 ans (je ne sais pas cuisiner et j'aime pas ça) et qui je le pense sincèrement sera un excellent père. Mais parfois j'ai quand même peur de la charge mentale. De fait, pendant nos deux ans de PMA (oui) puis pendant les 9 mois de grossesse, c'est moi qui ai du gérer les rendez-vous, les échéances, etc. Et évidemment c'était assez attendu : c'est mon corps. Mais parfois je m'inquiète un peu que ça se perpétue et que ça soit moi qui me retrouve à toujours savoir et m'organiser quand la petite devra aller chez le pédiatre, par exemple. Je ne pense pas que ça aura lieu, mais j'ai ça dans un coin de ma tête. Le bon côté, c'est que lui aussi. Et on le doit à des femmes comme Titiou Lecoq, justement, qui ont défriché le terrain pour nous. Je suis beaucoup plus féministe aujourd'hui que quand Titiou Lecoq a eu ses enfants, et mon mec beaucoup plus éveillé sur le sujet que son mec à elle à l'époque, justement parce qu'elle - et d'autres - ont bossé pour nous faire avancer. Merci à elles. 

A propos de biais sexistes, je découvre aussi à quel point les enfants sont genrés dès la naissance. Je ne prétends pas que je l'ignorais : je voulais par exemple connaître le sexe parce que je voulais pouvoir me projeter, et c'est bien parce que pour moi avoir un garçon ou avoir une fille n'est pas la même chose, et que ça n'entraînait pas le même travail de défrichage en amont de la naissance avec ma psy, par exemple. Je ne prétends pas du tout être exempte de stéréotypes genrés, loin de là. Et puis je suis notamment abonnée à Pépite Sexiste sur Twitter et je vois passer les photos de rayons de jouets pour garçons et filles, donc je ne tombe pas des nues. Mais cet été, en faisant des vide-greniers pour acheter des pyjamas pour bébé à 1 euro, j'ai assisté à des tucs qui m'ont fascinée. Des gens qui demandent aux vendeurs si tel pyjama jaune ou vert est pour garçon ou pour fille, comme si chaque fringue pour bébé de un ou trois mois avait un label "fille" ou "garçon" à respecter. Une femme qui regarde une salopette bordeaux en taille 3 ou 6 mois et dit qu'elle a peur que ça fasse trop garçon mais que ça ira avec un t-shirt rose en dessous. Toutes ces fringues pour bébé fille avec du rose, des paillettes, des dessins de licorne, de princesse... Mon propre biais qui me dit que ça ne pose absolument aucun problème que ma fille porte des fringues avec des petites voitures et des dinosaures, mais qui sait que j'aurais été plus réticente à faire porter du rose à mon fils. Bon dieu, ça commence tellement tôt, c'est terrifiant. La soeur de Thomas - qui est sage-femme - nous expliquait que beaucoup de parents mettaient des vêtements genrés au bébé justement pour que les gens dans la rue connaissent immédiatement le genre du bébé, parce que ça leur était désagréable qu'on puisse se tromper. En effet, un bébé à priori ça n'est pas écrit sur sa gueule si c'est un garçon ou une fille. Mais est-ce que c'est grave ? Je ne pense pas que je ressentirai le besoin de mettre une barrette rose sur le duvet que ma fille aura sur la tête pour la genrer. Ca me semble un réflexe étrange. Mais en même temps je ne veux pas non plus juger les mères qui le font. Je veux qu'on me foute la paix et qu'on ne juge pas la façon dont j'élève ma fille, je ne vais donc pas aller juger les autres parents (dit-elle après l'avoir fait)(oups). 

De fait, ne pas juger les autres parents de mon entourage ne m'est pas difficile pour l'instant parce que je les trouve tous absolument remarquables. Sincèrement. Depuis quelques années je les observe et je les trouve tous incroyablement calmes, gais, bienveillants, patients, aimants, justes, bref je trouve qu'ils gèrent comme des chefs. Ca m'impressionne beaucoup, je me dis toujours que j'espère faire aussi bien. Je disais ça à une amie l'autre jour, qui arrivait à garder un calme olympien alors que sa fille hurlait parce que sa mère n'était pas assez rapide à lui couper des petits carrés de pêche pour son dessert. Moi j'aurais eu un sentiment d'injustice, en mode "je me donne du mal pour toi et au lieu d'attendre cinq secondes tu me fais une scène et tu me donnes le sentiment d'être une mauvaise mère, c'est pas juste", et ça m'aurait fait souffrir : je sais bien qu'une petite fille de deux ans qui est fatiguée supporte mal la frustration et n'a pas les codes et l'empathie nécessaires pour prendre sur elle afin de préserver les autres, mais on est humains et je pense que c'est dur de ne pas avoir le réflexe de réagir avec un enfant comme on le ferait avec un plus grand (même si en définitive on adapte son comportement, la première lecture de la situation et les sentiments qu'elle induit ne peuvent être ignorés). Pourtant ma pote a juste été très calme et très douce, sans s'énerver, alors qu'il était tard et qu'elle avait eu une dure journée. Je lui ai fait part de mes réflexions, et je lui ai dit mon admiration. Elle a ri et elle m'a dit qu'elle était irréprochable parce que j'étais là, que seule elle pétait beaucoup plus facilement les plombs. Ca m'a fait rire. Ca m'a mise à l'aise, aussi. Je me souviens d'une autre amie qui me parlait du regard des passants quand son fils faisait des scènes et se roulait par terre, regards dans lesquels elle lisait "Moi, je ferais mieux". Je pense que tous les parents - les mères, surtout - ont cette peur du jugement extérieur - et elles ont raison, parce que dieu sait qu'elles sont jugées. Mais c'est bon aussi de pouvoir l'anticiper, en parler entre nous, pour désamorcer la peur, la pression, la gêne, la honte. Heureusement les filles sont assez douées pour ça : pour parler ouvertement de ce sur quoi elles se mettent la pression, ce sur quoi elles ont peur de mal faire, se sentent nulles, s'inquiètent. Heureusement qu'il y a les amies, dites. Je dis ça mais j'ai aussi des copains mecs avec qui je peux parler de ces choses là : de leurs doutes, de leurs ratés, des miens. Ils sont fantastiques et je leur rends hommage. Ils sont juste moins nombreux dans ma vie, et je pense moins nombreux en général, malheureusement. On le sait, les hommes sont en général beaucoup plus pudiques quand il s'agit de parler de choses intimes, et moins doués pour ça aussi : ils ne sont généralement pas, comme les filles qui pratiquent depuis leur plus jeune âge, aussi expérimentés dans l'art de l'introspection, dans l'analyse de leurs sentiments et de leurs relations interpersonnelles.

Cette pudeur des hommes m'a frappée notamment le jour où un pote à nous est revenu de son tour du monde et a constaté à un dîner chez Charlie que sa compagne était sur le point d'accoucher. Il a ri et a dit à Charlie "Ben sur Whatsapp par exemple quand on échangeait et que je te demandais des nouvelles, ça par exemple c'est un truc que tu aurais pu m'annoncer". Thomas n'a parfois appris que tard que certains potes pourtant proches allaient avoir un enfant. Moi je ne l'ai pas dit à tout le monde tout de suite bien sûr, et pour la plupart des gens j'ai attendu trois mois, mais il y a aussi des amis à qui j'ai direct envoyé une photo du test de grossesse positif, comme ils l'avaient d'ailleurs fait en leur temps. Je parle beaucoup de ma grossesse (notamment à de parfaits inconnus sur internet, comme vous pouvez le voir) et Tom beaucoup moins, même avec des amis proches, qui eux de leur côté parlent peu de ce que ça leur fait d'être père. Les femmes ont une telle capacité à se raconter des choses hyper intimes très vite, et je conçois que ça puisse paraître sidérant à certains, parfois ça me sidère moi-même, mais l'inverse me semble étrange également, cette grande pudeur des hommes entre eux. 

Bref, voilà pour les réflexions du moment. 

Peut-être que vous n'aurez plus de nouvelles avant quelques années, vu que je vais avoir un bébé et être pas mal occupée. Ou peut-être que ce blog, après avoir été centré sur ma vie "amoureuse" et sexuelle foireuse pendant des années, va devenir un blog de maman, qui sait. Et je pourrais aussi parler de plein d'autre trucs, notamment du fait que j'ai fait la généalogie de toute ma famille jusqu'au 17ème siècle au moins (pour la branche aristocrate croyez-le ou non mais je suis remontée jusqu'aux wisigoths !) et que j'ai découvert des tucs absolument invraisemblables. Pendant ces dernières années, je n'ai pas seulement passé deux ans en dépression, j'ai aussi fait beaucoup de recherches historiques : j'ai notamment découvert chez moi un vieux sac dans lequel étaient réunies les centaines de lettres qu'un homme a envoyées à sa femme pendant toute la seconde guerre mondiale, ça m'a pris du temps à défricher et ça m'a passionnée. J'ai tant de choses à raconter. Mais je vais d'abord faire une petite fille, et après on verra (je suis moyennement multi-tâches comme fille, donc je ne promets rien - même si en vrai ça me ferait un bien fou de réussir à avoir d'autres projets que celui d'être mère, comme vous pouvez vous en douter). 

Je vous embrasse tous, et je vous dis à la prochaine.

PS : N'hésitez pas à commenter pour me dire que je suis forte, que je suis "une reine" et que ça va bien se passer. Je prends.