mardi 24 juillet 2012

Il était une fois la fin



Je me suis trompée sur Virgile.
Il n'a rien, rien compris à ce qui lui arrivait.
Je crois que j'ai rarement vu un garçon aussi désolé et désemparé de ma vie.

On a tendance à penser qu'une personne de 30 ans gère mieux ses relations amoureuses qu'une personne de 20. L'expérience permettrait en effet (c'te bonne blague) d'acquérir une certaine sagesse.
Foutaises. L'expérience rend fou.
Une personne de 30 ans a en effet une quinzaine d'années d'expérience derrière elle : quinze ans à faire des erreurs, à apprendre de ses erreurs, à évoluer. Certes.
Quinze ans de traumatismes, aussi.
Toute sagesse acquise est donc légèrement annulée par les strates de névroses accumulées au travers des années. Névroses qui viennent immanquablement parasiter toute nouvelle relation.
Ainsi, moi, par exemple, si tu me traites de chouette fille, je te casse les genoux.
(Ca peut surprendre).
Et si - affront suprême - tu as le malheur de me dire que tu as "aimé les moments qu'on a partagés", alors là, une petite partie de moi décède à jamais. (Accessoirement, une petite partie de toi risque également de décéder dans d'atroces souffrances) (Suffit de le savoir, hein). 
Pareil si tu as le malheur de - comme Astro - disparaître (ou avoir l'air de disparaître) de la circulation.
Je suis comme un animal blessé. J'ai des réflexes pavloviens.
Je baisse les oreilles, je me cache, je mords, j'abois.
Je me mets dans des états démesurés.
Plus je suis blessée, plus les hommes fuient. Plus les hommes fuient, plus je suis blessée. 
C'est une spirale infernale.

(Et là, y a une bagnole qui se reflète dans ce bel oeil bleu, 
et en fait ça gâche tout, mais bon, on ferait comme si,
 pour de faux, on n'avait pas vu, ok ?)


Je suis arrivée au rendez-vous dans un état de stress apocalyptique. J'ai essayé de me calmer avant de sortir du métro, de reprendre ma respiration, de faire taire les palpitations, mais rien à faire : je tremblais comme une feuille. (Il faut vraiment que je me fasse soigner).
On s'est installés à une terrasse de café, on a commandé à boire. Je grelottais par quarante degrés, je manquais de renverser ma bière à chaque fois que je la soulevais tellement j'étais fébrile ("Tu trembles... C'est impressionnant") ("Je suis désolée : je ne sais pas faire semblant que je m'en fous") ("T'es en colère à ce point ?, "Non... C'est pas de la colère, ça"), j'ai fumé ses clopes comme on s'accroche à une bouée (je n'avais pas fumé depuis huit mois et il le sait), nerveusement, frénétiquement, cigarette sur cigarette  ("Je ne fume pas pour n'importe qui, tu sais. Tu peux être fier. Ca veut dire que tu me plais vraiment beaucoup"), et il restait là à me regarder avec un air ému, catastrophé et impuissant, à me dire qu'il ne savait pas quoi dire, que tout ce qu'il pourrait dire semblait tellement stupide, qu'il était nul pour ce genre de chose, qu'il ne savait pas quoi faire... Je crois qu'il était encore plus en souffrance que moi : il a déchiqueté son paquet de clopes en mille morceaux, il a regardé ses pieds, il a regardé dans le vide, il m'a dit qu'il n'arrivait pas à parler, que c'était très difficile pour lui, il m'a dit qu'il n'avait pas imaginé une seule seconde qu'il faisait quelque chose de mal en ne me rappelant pas immédiatement, qu'il était désarmé de voir qu'il avait le pouvoir de me blesser à ce point au bout de seulement cinq jours, qu'il était tellement désolé, qu'il avait réussi à me décevoir en un temps record et que c'était terrifiant (j'ai dit "pitié" avec impatience), qu'il n'était pas en état de vivre un truc aussi intense (tu m'étonnes. pauvre amour. il a dû flipper sa mère), un truc où on ne fait pas semblant, qu'il ne pouvait pas, qu'il ne savait pas pourquoi il faisait "semblant d'y croire", qu'il n'était en fait pas du tout remis de sa dernière histoire (j'ai dit "excuse à la con", il a dit "ok... je ne peux pas en plus te demander d'être gentille avec moi") ("Non mais sinon c'est pas mal comme excuse : ça ne me remet pas trop en question, ça ménage mon égo, c'est bien"), qu'il ne s'autorisait pas à passer à autre chose, qu'il ne pensait pas pouvoir tomber amoureux de quelqu'un d'autre, et j'ai dit "Bon". Il avait l'air tellement mal. Il ne disait rien. Il regardait ses pieds. Il me regardait d'un air perdu, presque suppliant. ("T'as l'air tellement malheureux"). Je l'observais sans trop comprendre. Je lui ai dit que je n'étais pas en sucre, que j'étais émotive et que j'avais l'air vulnérable comme ça mais que j'étais une grande fille et que je m'en remettrais, et il a dit "Moi je suis pas sûr d'être une grande fille", et on a souri tristement, mal à l'aise, silencieux, et surtout, surtout, on a passé une heure et demie à se regarder droit dans les yeux avec une intensité désespérée, et j'aurais tellement voulu qu'il m'embrasse, et plusieurs fois j'ai cru qu'il allait le faire, et peut-être bien que plusieurs fois il en a eu envie, mais voilà. On n'a finalement pas dit grand chose (même s'il m'a dit "T'as peut-être l'impression que j'ai pas dit grand chose, là, mais je crois que je n'avais jamais eu une conversation aussi intense avec quelqu'un") ("Ah ouais ? Ben putain"), on n'a pas dit grand chose mais on a quand-même dit des choses importantes, et surtout, au delà des mots, on m'avait rarement regardée avec autant d'intensité. (BB : "Il y a des moments dans la vie où l'émotion est telle que les mots ne font plus le poids : t'aurais dû lui prendre la bouche !"). De longues minutes entières à regarder l'autre au fond des yeux sans rien dire, à la recherche d'un message, d'une réponse, d'une solution. On était comme deux âmes en peine en plein naufrage (interdiction de rigoler) (non mais) (je vous prierai même de respecter une minute de silence) (pour expier).
Au bout d'une heure et demie j'ai donné le signal du départ : j'ai dit "On y va", il a dit "Ok" d'une voix sourde. Il m'a raccompagnée au métro, il m'a fait la bise, j'ai dit "Bonne soirée", il a dit "Toi aussi", et puis voilà. On est repartis chacun de son côté.
J'étais très émue. Un peu sous le choc. Un peu anesthésiée. J'avais l'impression d'avoir vécu quelque chose de précieux et de fugitif, un moment bouleversant de pure émotion, et puis plus rien, le métro, le vide.
Je suis partie rejoindre des amis. J'ai pleuré. Ils m'ont serrée dans leurs bras. Ils m'ont fait boire. Ils m'ont fait rire. Merci à eux. Voilà.
Je ne reverrai plus Virgile.

- Mais enfin apprends à baiser avec ton cul !
- Mais j'arrive pas !
- Ben vise mieux !
(Julien). (Chic).


"En même temps t'es né l'année où Ainsi Sois-je de Mylène Farmer est sorti en K7 audio".
"Et la première fois que j'ai fait l'amour t'avais sept ans".
"Donc bon..."
....

Virgile a 23 ans. Eh ouais. ("Il était beau comme un enfant, fort comme un homme")
Je l'avais pas dit, ça.

C'est parce que ça change rien.
Enfin si, bien sûr.
Mais en fait non.





3 commentaires:

  1. Premier commentaire sur ton blog.
    Je suis une nouvelle lectrice arrivée début juillet sur le conseil d'une amie.

    Tes billets me font rire et je me reconnais (malheureusement) bien souvent.

    Très vite, je me suis attachée à tes histoires et j'avoue qu'hier, en journée, j'ai pensé à toi qui devais revoir Virgile.

    Cet article était très émouvant et il n'y a rien à ajouter si ce n'est: courage pour la suite!

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    1. Bonjour Anonyme ! Bienvenue !

      Merci infiniment, ça me fait toujours extrêmement plaisir de savoir que mon blog est lu et apprécié.

      J'ai pensé au blog hier, moi aussi, et j'ai eu envie de lui dire : si tu savais le nombre d'inconnus sur internet qui ont attendu que tu me rappelles !

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  2. Tu vas me prendre pour le pire des pires mais qu'importe. Le petit gars n'a pas fait ça par vice, certes. Il a fait son expérience. Il n'a pas compris, comme tant d autres hommes. As-tu déjà entendu un homme te dire AVANT, je ne veux que le plaisir avec toi sans lendemain ou sans pousser plus loin que le jeu amoureux?
    Là il n'y a pas d'arnaque, Tout le monde sait ce qu'il trouvera. Mais je peux te dire que lorsque tu dis ça, ça refroidit pas mal. En fait tu te rends compte que les femmes détestent cette vérité.
    Tu as eu totalement raison d agir ainsi avec lui, combien de jeunes femmes aurait-il baisées juste pour se vider avec volupté ? Et combien auraient souffert? Là il a été obligé d'assumer durant le temps où il s'est retrouvé confronté à ton regard triste et à la colère dûe à ta blessure.
    Si ça se trouve il agira de la même manière avec une autre dans la semaine, ou alors il aura compris.
    Les gens se détruisent comme ils tuent des mouches pour quelques heures de jouissance. Il aura eu la contrepartie de son plaisir.
    Tu as été parfaite, voilà mon avis.

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