jeudi 20 mars 2014

Sister Suffragette is Sick

Ou comment je n'ai pas fait de tour en locomotive.

Un petit post sans prétention pour nous remettre de tout ce militantisme. Pfiou.
(C'est arrivé près de chez vous a eu un succès fou, cela dit : je ne sais pas si vous avez remarqué, mais en seulement quelques jours, il est arrivé dans le top ten de mes posts les plus lus). 
(Je devrais parler de cul plus souvent).


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Chers lecteurs, 

Ces temps-ci, je toussais beaucoup, surtout la nuit. Vu que je n'avais aucun autre symptôme (juste cette toux sèche et persistante), je pensais que c'était une toux d'irritation due à la pollution. 
Eh bien que nenni.

Hier, épuisée de fatigue à force de passer mes nuits à tousser et à ne pas fermer l'oeil, j'ai décidé d'aller chez mon médecin et figurez vous que, croyez-le ou non, il s'avère que j'ai... la coqueluche !

Eh ouais baby. 
Quand toi tu chopes des petits rhumes de sagouins à la portée du premier venu (tss), moi monsieur, je chopes la coqueluche
Je suis comme ça, moi.

Je ne savais même pas que ça existait encore, honnêtement. 
Ca sonne un peu comme le choléra, la tuberculose ou la scarlatine, genre vieille maladie mortelle de l'ancien temps (oui, l'"ancien temps" - vous savez bien : avant, quoi). 
D'ailleurs ça fait un peu flipper, au premier abord, quand on te dit que t'as la coqueluche. 
Je ne vous le cache pas. 
Tout de suite tu te vois avec un corset sous ta robe, obligée de te déplacer en locomotive et de te moucher dans un mouchoir en tissu (rhaaa, dégueu), et ça, ben c'est quand même l'angoisse. (Quoiqu'en fait, faire un tour en locomotive, ce serait pas mal) 
(C'est vrai ça : je me tape la coqueluche et je peux même pas faire un tour en locomotive ? C'est quoi ce bordel ? C'est scandaleux).

Mes collègues, en apprenant mon mal, se sont évidemment empressés de me demander de tousser sur les élèves (ces charmants bambins). 
Mais je n'en ferai rien. 
Pas que je m'oppose à l'idée sur le principe, comprenez (niark niark) : c'est juste que je suis interdite de collège jusqu'à nouvel ordre.
Oui : il m'est désormais officiellement défendu d'approcher des enfants. (O joie). 
Pour éviter de déclencher une épidémie et qu'on ne finisse pas tous comme dans le Fléau, poursuivis par un mec aux cheveux longs avec une veste en jean et des santiags, parce que ça, avouez que ça ferait vraiment flipper.

Cela dit, avant de découvrir que je n'avais pas un simple rhume, j'ai beaucoup toussé dans mes mains avant de distribuer nombre de polycopiés et autres copies.
Pas de panique, cependant : je pense que, contrairement au mien, leur vaccin fonctionne encore. Même si j'ai quand même demandé au collège de faire une annonce. 
Les élèves vont être trop contents, ils vont se sentir un peu comme dans Los Angeles : Alerte Maximum, ça va leur faire des émotions. 
(Déjà qu'ils se cachent sous les tables en hurlant dès qu'ils voient une abeille ou une araignée dans la salle, je pense qu'une maladie potentiellement mortelle devrait faire son petit effet).

Marius
Oh, vous savez, la coqueluche, ce n’est pas si terrible !

César
Malheureux ! Ça s’attrape rien qu’en regardant ! C’est une espèce de microbe voltigeant, cent millions de fois plus petit qu’un moustique ! Et c’est un monstre qui a des crochets terribles… Et dès qu’il voit un petit enfant, cette saloperie lui saute dessus, et essaye de lui manger le gosier, et lui fait des misères à n’en plus finir !
(Marius, Marcel Pagnol)

Bref, je suis tenue de rester en quarantaine chez moi pendant au moins une semaine et d'y cracher mes poumons à l'abri des regards.  
Un peu comme la dame aux camélias, en fait. (Wesh bébé).
Parce qu'avoir la coqueluche, c'est sooo 19th century !



Je me sens un peu comme Beth March se remettant de la scarlatine ou Marguerite Gautier toussotant dans un mouchoir de soie (sauf que moi je suis en vieux jogging Monoprix et que je tousse bruyamment comme un gros charretier, mais au diable les détails).
 
Marguerite Gautier, héroïne de La Dame aux Camélias, donc. 
Qui est enterrée au cimetière Montmartre. 
Quand j'étais adolescente, ça me fascinait complètement. 
La première fois que je suis allée dans ce cimetière (cimetière à l'époque blindé de petits lycéens qui fumaient des joints), je me souviens être tombée sur cette tombe et avoir été absolument éblouie. 
Dans le roman, voyez-vous, elle est bel et bien enterrée au cimetière Montmartre. Et l'histoire est censée être une histoire vraie. J'en déduis qu'Alexandre Dumas Fils a utilisé le nom d'une vraie morte pour son roman, voire d'une vraie courtisane morte de la tuberculose appelée Marguerite Gautier. 
Quoi qu'il en soit, le fait qu'un personnage de roman ait une vraie tombe, ce mélange entre la réalité et la fiction, j'avais trouvé ça génial. 

Bref, je me prends pour une héroïne de roman. 
(A ce propos, je devrais peut-être emprunter sa collerette et son ruban vert à Nala, histoire d'être réellement dans mon personnage).


Avouez que la coqueluche, ça sonne super désuet. Pourtant méfiez vous, il paraît qu'il y a une recrudescence de la maladie et que les cas se multiplient. 
Sauf qu'heureusement on n'est plus au 19ème siècle et que, après m'avoir fait faire une radio et une prise de sang remboursées par la sécu, on m'a donné un arrêt de travail pendant lequel je serai payée et de gentils antibiotiques qui vont tout bien me soigner en silence pendant que je lirai des BDs dans mon lit. Et ça, c'est quand même fantastique. Merci la science.

Seul hic : je suis très contagieuse.



La grosse combinaison jaune et moche. 
Un bon moyen de faire fuir les virus.
Pensez-y.

Je suis donc une paria à compter d'aujourd'hui.
Quand j'ai pris l'ascenseur avec quelqu'un tout à l'heure, je me suis quasiment retenue de respirer. Quand je suis allée à la bibliothèque* pour emprunter des BDs histoire de pas trop m'emmerder chez moi, j'ai pensé à tous les miasmes que je risquais de répandre partout et, du coup, j'ai pris des trucs sans oser les feuilleter. Quand j'ai posté mon arrêt maladie, j'ai pensé aux microbes sur mon enveloppe, microbes qui allaient passer sur les mains des facteurs et se poser sur des lettres en partance pour toute la France. Et je me suis dit que, tel un rat en temps de peste, j'allais être à l'origine d'une épidémie planétaire. 
(Je suis donc rentrée manger de la glace au chocolat devant Girls pour oublier). 


Ceci est donc peut-être mon dernier post avant l'apocalypse. Vous êtes prévenus. 
D'ailleurs je vais mater ce film là, ce soir. Contagion. Histoire de rester dans le thème de la journée.


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*A la bibliothèque, j'ai aussi voulu emprunter des CDs de musique classique, mais c'est un peu difficile de savoir quoi prendre. C'est qu'ils ont fait vachement d'albums, tous, dites (huhu). Ils étaient très prolifiques, ces musiciens de l'ancien temps (oui, vous savez : avant). 
Ca aiderait, pour les novices comme moi, s'il y avait des petites compiles de tubes. Genre ça :

En plus ça m'aiderait à me mettre dans l'ambiance, 
pour la convalescence et tout.

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Sinon, en attendant la fin du monde, si vous n'êtes pas malade comme moi mais que vous êtes profs et que vos élèves vous gonflent, un collègue a trouvé une solution : leur dire Silence ou je raconte la fin de Game of Thrones.
Une méthode effectivement très efficace pour obtenir ce qu'on veut. En toute circonstance, d'ailleurs.
(C'est comme ça que le Capitaine a fait de moi son esclave).  

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Voilà. C'était mon post du 20 mars, à l'occasion de la troisième Journée Internationale du Bonheur. 
"Ce jeudi 20 mars, il est formellement interdit de bouder, pleurer ou broyer du noir. Car c'est la Journée internationale du bonheur, instituée par l'ONU en 2012". 
Non mais... What the Fuck ??!
Grands Dieux.
Déjà qu'on a une journée internationale du câlin (tous les 21 janvier depuis 1986), une journée internationale du rire (tous les premiers dimanches de mai depuis 1998) et une journée mondiale de l'orgasme (tous les 22 janvier depuis 2006)...
L'ONU a aussi instauré une journée internationale de l'amitié (tous les 30 juillet depuis 2011), et demain, lecteurs, c'est la journée mondiale du rangement de bureaux. (Si). (Bon, pas instaurée par l'ONU, celle là, j'avoue).
(Les Américains ont bien une journée nationale du Doughnut, en même temps - cela dit, eux au moins ils ont une raison historique à peu près cohérente, alors que la journée mondiale du rire ?)
(A quand les journées internationales du clin d'oeil, du gros orteil et de la casserole ?)

Bref, je penserai à vous, vous en bonne santé tout là-bas dans le grand monde, pendant ma longue et pénible convalescence. (Ouin) (Je voulais faire un petit toussotement mais y a pas vraiment d'onomatopée pour la toux, si ?).
Je vous salue bien bas et vous souhaite un fort bon week-end.


Non, rien à voir.
En effet.

samedi 15 mars 2014

C'est arrivé près de chez vous

Encore un post fleuve. Je suis en mode "va t-en guerre".


 Viol (définition) :
Le viol est un « rapport sexuel imposé à quelqu'un par la violence, obtenu par la contrainte, qui constitue pénalement un crime ». Une définition plus restrictive édicte que ce rapport sexuel doit comporter une pénétration ; l'ancienne définition du Littré précisait qu'il s'agissait d'une « violence faite à une femme que l'on prend de force ». Dans le droit français, c'est une agression sexuelle impliquant, selon l'article 222-23 du Code pénal, « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise ». Dans certains pays comme l''Allemagne et le Canada, des définitions plus larges sont adoptées. Au Canada, l'infraction de viol a été abolie et remplacée par le crime d'agression sexuelle, notamment pour mettre l'accent sur la dimension violente de l'acte et pour inclure toute forme d'attouchement sexuel non consenti. Les Nations Unies définissent le viol comme un coït sans consentement valide.


Il y a quelque temps, mon frère et moi parlions des différences homme-femme. A un moment de la conversation, il a dit "Enfin de toute façon il n'y a qu'une seule différence majeure entre les hommes et les femmes, hein". Et là, on a complété sa phrase de concert, tous les deux pensant proférer l'évidence, sauf qu'on n'a pas dit la même chose. 
Il a dit "C'est que les femmes peuvent avoir des enfants et les hommes non". 
J'ai dit "C'est que les hommes peuvent violer les femmes et pas l'inverse".

J'aurais évidemment dû penser à ma capacité d'enfanter qui fait que je suis femme. 
J'ai cependant immédiatement pensé au fait que je fais partie du sexe qui se fait violer et pas de celui qui viole. Et, encore aujourd'hui, ça me semble - très sincèrement - une différence bien plus importante. Dans le sens où c'est une différence dont je fais l'expérience jour après jour, au quotidien.

Mon frère m'a dit "Oui enfin ça c'est toi, Bayane. C'est ta névrose".
Je pense au contraire, si c'est une névrose, qu'elle est amplement partagée.
Je pense que le trouble psychique qui entraîne à penser qu'une des choses qui définit les hommes est qu'ils sont des violeurs potentiels est malheureusement dangereusement répandu. 
C'est dramatique, mais ça n'en est pas moins vrai.


Dans un article publié récemment, l'auteure de Crêpe Georgette (blog dont j'ai récemment découvert l'existence) commentait un rapport d'enquête sur les viols en Europe (3,7 millions dans l'année précédant l'enquête) : elle y faisait remarquer qu'à aucun moment du rapport il n'était dit explicitement que ces femmes avaient été violées par des hommes. Ce rapport faisait donc état de 3,7 victimes sans jamais nommer les coupables, comme si ces femmes avaient été violées toutes seules. 
Parce que si on peut dénoncer le viol en soi, il reste politiquement incorrect de soulever le fait que les coupables de ces agressions sexuelles sont des hommes. On risquerait d'avoir l'air de dire que les hommes sont des violeurs, et ça, ça ferait scandale, on nous le reprocherait, on ne peut pas.
Or, soyons clairs : si tous les hommes ne sont bien évidemment pas des violeurs, peut-être serait-il bon de stipuler une bonne fois pour toutes que, si toutes les victimes ne sont pas des femmes, tous les violeurs, eux, sont bel et bien des hommes.
3,7 millions de femmes violées et donc, par extension, environ 3,7 millions d'hommes qui violent.
J'appelle ça un phénomène de société qui autorise à avoir des névroses.

Ce qui m'a le plus frappée, dans cet article, c'est la fin. Que je vous copie-colle ici :
Je vais devancer les commentaires ainsi cela vous évitera de vous répéter :
- "tu dois beaucoup détester les hommes"
- "oui enfin il y a des femmes qui violent hein"
- "tu es mal baisée"
- "oui enfin moi je n'arrive pas à choper des filles" (oui il y a toujours un homme qui vient nous expliquer ses problèmes sentimentaux sur un sujet sur le viol)
- "j'ai dit que les femmes en mini jupe cherchaient le viol, tu m'as traité de connard mais c'est parce que tu es misandre et que tu ne veux pas discuter avec des hommes de bonne volonté , ne t'étonne pas qu'on ne t'aide pas".
- "avec des extrémistes comme toi le féminisme va mal".
- "moi je n'ai violé personne".
- "tu parles de cas isolés"
- "tu peux me fournir une autre source pour ces chiffres car je pense que ce rapport a été rédigé par une féministe"
- "oui enfin qu'est ce qu'ils appellent viol dans ce rapport ?
"
- "oui enfin moi j'ai une ex c'est une salope de menteuse donc ca prouve bien que".

J'ai trouvé ces différents exemples de commentaires criants de vérité.


Combien de fois ai-je entendu ce genre d'arguments quand j'essayais de parler du statut des femmes dans la société et des différentes formes d'oppression qu'elles pouvaient subir ?

Exemple :
Moi : Mon dieu, je viens de lire un article dans le Courrier International sur la situation des femmes dans le monde, ça fait flipper. Ils parlent d'une nana, là, que son village a obligée à épouser son violeur pour ne pas être déshonorée et bannie. Non mais quelle horreur !
Mon père : Oui enfin ça va pas être très marrant pour lui non plus, hein.
...
J'ai pris une grande inspiration pour ne pas exploser.
Mon frère, sentant que j'étais à deux doigts de foutre le feu à l'appartement, m'a tendrement prise dans ses bras et m'a dit "chuuut, laisse tomber" dans l'oreille.
Il est gentil. Il ménage mon ulcère.
Mon père - qui est par ailleurs une des personnes que j'aime le plus au monde, est un très bon père, et à qui je vous saurai gré de ne pas jeter des pierres virtuelles à la suite de ce post - fait partie de ces hommes qui se sentent attaqués en tant qu'homme dès que quelqu'un défend la cause des femmes, et qui a donc le réflexe presque pavlovien de prendre le contre-pied de ce qui a été dit. (Même si cela revient à défendre un violeur contre une femme sans défense).
Il est de ces hommes qui, si tu tiens des propos féministes, placera aussitôt dans la conversation qu'il y a aussi des femmes qui violent des hommes, qu'il y a aussi des femmes qui frappent leurs maris, et que c'est dur d'être un homme et que les femmes ne sont pas toujours gentilles non plus, etc, etc. 
Parce qu'il s'est senti castré par le féminisme dans les années 60 et 70, féminisme qui a déconstruit les statuts établis, a déstabilisé les hommes, et l'a clairement personnellement fait souffrir.
Je comprends évidemment ce qu'il a pu ressentir, et je conçois que les bouleversements de la société et la colère de beaucoup de femmes vis à vis des hommes aient pu être difficiles à vivre. J'ai même passé ma vie à me mettre à la place des hommes, ayant été élevée par un grand défenseur de leur cause. Je pense cependant qu'il faudrait un tout petit peu arrêter les conneries, et faire un peu deux poids deux mesures.



Vous ne pouvez pas imaginer à quel point il m'a été difficile dans la vie d'accepter que mon père soit incapable de simplement dire "Quelle horreur, pauvres femmes", et qu'à la place, il ait le réflexe irrationnel de défendre des enculés qu'ils ne connait même pas, et ce sous prétexte qu'ils sont des hommes.
Si je trouve normal de m'identifier à une inconnue victime d'un viol à l'autre bout du monde parce que c'est une femme, je trouve moins normal que mon père s'identifie à son violeur parce qu'il est un homme. N'est-il pas plutôt censé s'identifier à la victime parce qu'il est pour le respect des femmes et surtout pour le respect des droits de l'homme ?

Car, aussi difficile que cela soit à admettre pour des hommes comme mon père qui n'aime pas dire du mal des hommes : oui, les femmes se sentent opprimées par les hommes, et ce en grande partie - tout simplement - parce qu'elles le sont.

Pas par vous en particulier, là n'est pas la question. Je ne suis pas en train de dire du mal de vous, lecteurs. Je ne suis pas non plus en train de dire que les femmes se sentent opprimées par tous les hommes qu'elles rencontrent et fréquentent. Mais elles se sentent régulièrement opprimées dans leur vie de tous les jours, en tant que femmes, par des hommes. 
Comprenez : toutes les femmes de France - ce pays pourtant développé, défenseur des droits de l'homme où les femmes ont l'un des statut les plus enviables du monde - sont régulièrement harcelées dans la rue par des hommes.

Je réalise de plus en plus, au détour de conversations, à quel point c'est une réalité qui échappe à la grande majorité de la gente masculine.
Je l'ai avant tout réalisé le jour où le film de cette jeune femme belge a fait scandale, comme si elle révélait quelque chose que personne ne savait. (Non parce que moi, perso, j'étais au courant).



Un blog très bien foutu, Hollaback, recueille des témoignages de femmes qui ont été victimes de harcèlement. Des témoignages de femmes tout court, donc. Parce que je peux vous assurer que pas une seule femme que je connais ne lirait ce blog sans se reconnaître dans chacune d'elles.
On a toutes vécu ça. On le vit toutes. Tous les jours.
Moi, personnellement, je le vis jour après jour depuis que je suis pubère.
Les inconnus qui commentent ton apparence à longueur de journée, qui commentent ton cul, tes seins, ton sourire, qui te disent à l'oreille en pleine rue qu'ils aimeraient bien te fourrer la bite dans le cul, qui fredonnent "Pan pan pan, je lui mettrais bien une cartouche" quand tu passes à côté d'eux, qui te demandent si tu suces, qui te regardent avec insistance dans le métro, voire te demandent de rentrer avec eux et précisent qu'ils ne te demandent pas ton avis pour peu que le wagon soit un peu vide, les mecs qui te raccompagnent chez toi contre ton gré et essayent de forcer ta porte, les mecs qui te disent que t'es charmante puis te barrent le passage pour te dire "Dis merci !", les mecs qui te disent que t'es bonne puis une minute après que t'es une grosse mocheté qui peut aller se faire foutre parce que tu les as ignorés, les mecs dans la rue qui te proposent un verre et exigent un bisou avant de te foutre la paix, les mecs qui te demandent comment tu t'appelles, et où tu vas, et est-ce que t'as un mec, et "ah t'as pas de mec alors on va chez moi ? Non ? Ben quoi c'est quoi le problème t'es célibataire, non ?" et qui t'insultent quand tu les repousses, et j'en passe. (Et là je ne parle que de choses que j'ai vécues moi personnellement).
En tant que femme, tu vis tout ça au quotidien. Alors t'es obligée de mentir pour qu'on te laisse tranquille, de faire la bise à des inconnus pour être en paix - inconnus qui en profitent pour essayer de te chopper dès que tu effleures leur joue - obligée de faire gaffe à quelle heure tu rentres et par quelle rue et par quelle ligne, obligée de faire gaffe à ce que tu portes pour pas qu'on t'emmerde, et tu flippes toujours un peu dans la rue quand tu rentres chez toi et qu'un mec marche sur le même trottoir parce que tu sais que s'il voulait t'agresser il le pourrait.
Les hommes qui font ça sont une minorité, évidemment. Mais ils restent très nombreux. Et, comme les quelques emmerdeurs dans une classe de vingt cinq élèves par ailleurs charmants, ils ont beau être en minorité, ils pourrissent tes journées - et ta vocation). 

Toutes ces petites agressions quotidiennes font que oui, vous le comprendrez, on a toutes enregistré que homme rimait souvent, potentiellement, avec agresseur.

Et je tiens à souligner, si ce n'était pas évident, que toutes ces micro-agressions sont des agressions à caractère sexuel. Agressions qui nous rappellent à longueur de temps que nous sommes des objets de désir (et dans "objets de désir", il y a "objets") pour les hommes, et que ce désir est une menace. Car si ces hommes se permettent de violer nos oreilles avec des mots obscènes, voire notre intégrité physique avec leurs mains, comment ne pas être consciente de la possibilité - du danger omniprésent - qu'ils aillent plus loin ?

Pour le harcèlement de rue, vous pouvez aussi consulter ce blog là, qui est super bien fait. Même si encore une fois, il y a des mecs pour se plaindre dans les commentaires qu'il n'y a aucune histoire où les hommes sont des chevaliers servants et que c'est dégueulasse. Ce qui a le don de m'agacer.
Ma réponse : "C'est parce que c'est un blog sur le harcèlement, banane ! Pas un blog sur les hommes, un blog sur le harcèlement. Un blog qui dénonce un problème de société en particulier, donc. Tu remarqueras d'ailleurs qu'on n'y parle pas non plus du réchauffement climatique ni de la guerre en Syrie, qui sont pourtant eux aussi des sujets très importants. Je m'étonne à ce propos que tu ne t'en sois pas offusqué. Tu veux dire que tu t'inquiètes de l'image des hommes mais que t'en as rien à foutre de l'environnement, c'est ça ?! Pollueur !! Tueurs d'ours polaires !! Assassin !!").

Je comprends qu'on ait le réflexe de se rallier à son propre sexe (quand mon père me parle de ses nanas, il a beau être mon père, j'ai le réflexe de me mettre à leur place à elles), mais, messieurs, si vous êtes capables de vous sentir attaqués personnellement quand une femme dit du mal des hommes en général, mettez vous à notre place et imaginez ce que vous ressentiriez si dans une infinité de pays, les personnes de votre sexe n'étaient qu'une moitié d'être humain au regard de la loi et n'avaient pas le droit de vote, pas le droit de dire oui à leur propre mariage, pas le droit de travailler, pas le droit d'avoir un compte en banque, pas le droit de conduire, pas le droit de découvrir leur visage en public, et j'en passe.
Avouez que - si je ne m'abuse - vous auriez un peu les boules.

Permettez-moi de rappeler qu'en France :
- Les femmes ne peuvent voter et être élues que depuis 1944.
- Les femmes ne peuvent travailler sans l'autorisation de leur mari que depuis 1965.
- Les femmes ne peuvent avoir un compte bancaire sans l'autorisation de leur mari que depuis 1965. 
- Les femmes n'ont le droit de prendre la pilule que depuis 1967.
- Le principe de "A travail égal, salaire égal" n'existe que depuis 1972.
- Les femmes n'ont le droit d'avorter que depuis 1975.
etc., etc.
Tous ces changements ont eu lieu du vivant de ma propre mère pour la plupart, du vivant de ma grand-mère pour les plus vieux. Autant dire que c'est récent.
Du coup, encore une fois, oui, les choses ont beaucoup évoluées depuis, mais si vous arrivez à  concevoir que les noirs puissent encore avoir les boules pour l'esclavage, et que les peuples colonisés aient encore les boules quand ils pensent à l'époque coloniale, vous pouvez certainement comprendre qu'il y ait des restes de rancoeur de la part de la gente féminine. Surtout que, vous serez d'accord, ni le racisme ni le sexisme n'ont disparus comme par magie de la surface de la Terre.
(Pour le sexisme dans la politique, allez sur le tumblr Sinon, je fais de la politique).

Quand un noir se plaint du racisme, est-ce que vous l'agressez pour autant en lui disant qu'il n'est qu'un sale raciste ultra radical qui déteste les blancs et que y en a marre d'entendre les noirs pleurnicher alors qu'on a déjà fait beaucoup pour eux et que c'est pas facile pour les blancs non plus ? Non. Eh bah alors ?

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Lecteurs mâles, vous allez peut-être vous sentir insultés et offusqués que je me lance dans de telles diatribes comme si je devais vous convaincre de ce qui vous semble évident. Je ne doute en effet pas une seule seconde de votre intelligence et je ne pense en aucun cas que vous êtes de gros beaufs sexistes et ignares, cela va sans dire. Je suis convaincue que je ne suis lue que par des gens absolument charmants.
C'est simplement que les différents articles que j'ai été amenée à lire à l'occasion de la journée de la femme et les commentaires qui les suivaient m'ont sincèrement agressée, et que j'avais besoin de pousser un gros coup de gueule pour me soulager.
Et, qui sait, peut-être que mes arguments parleront à deux-trois mecs pas encore convaincus, et ce sera déjà une grande victoire. 


Je ne déteste pas les hommes en général mais je déteste ce type d'hommes très répandu qui me harcèlent jour après jour et qui eux, pour le coup, détestent les femmes. Je les crains, je les méprise, je les hais, et j'ai besoin parfois de hurler ma colère et ma frustration.
Et je déteste toutes les têtes de con qui, au lieu d'apporter leur soutien aux femmes qui plaident la cause des femmes et dénoncent le viol ou le harcèlement de rue, trouvent le moyen de les attaquer et de ramener la couverture à eux.

Non, je ne suis pas une femme qui déteste les hommes.
Je ne suis pas non plus de celles qui se sentent opprimées dès qu'elles soulèvent une éponge ou qui trouvent dégradant de se faire belle pour plaire à un homme. Je ne hurle pas à l'oppression du patriarcat dès que je vois une poupée Barbie et je ne pense pas non plus qu'il faille traiter les hommes comme des objets pour leur rendre la monnaie de leur pièce. Et non, je ne me suis pas délectée des pubs que Kookaï a lancées dans les années 90.
Pour les pubs Kookai qui ont fait scandale quand j'étais au lycée - et qui ont eu beaucoup de succès auprès de beaucoup de lycéennes - c'est ici, ici, ici, ici, et ici. Ces pubs, qui présentent les hommes comme des objets jetables ou des nuisibles malmenés par des femmes, étaient censées dénoncer le sexisme, mais je les avais simplement trouvées choquantes et nauséabondes et m'étais offusquée que tant de femmes prennent un plaisir pervers à les regarder.
(Elles vous plaisent pas, hein, les mecs ? Ben dans ce cas précis, j'ai beau être une femme, je me mets immédiatement à la place de l'homme humilié et insulté par ces images et ça me met très très en colère). (L'image dégradante des femmes dans la publicité est, elle, malheureusement tellement banalisée qu'elle ne produit plus du tout une telle indignation, pas même chez moi).

Bref, je ne suis pas une sale misandre, je suis simplement un femme qui, comme la grande majorité des femmes je le crains, pense immédiatement au viol quand on lui parle de la différence majeure entre les hommes et les femmes. Car la possibilité, voire la réalité du viol, est malheureusement omniprésente dans ma vie de tous les jours. 
Et c'est grave, et j'en suis consciente, mais ça n'est pas ma névrose et mon problème.
C'est notre société qui est malade et c'est le problème de tout le monde.

Il y a un problème avec le concept de virilité. Il y a un problème dans les rapports hommes-femmes.
Il y a un problème dans la façon dont on éduque les filles et les garçons.
Et ce problème, il faut en parler, et il faut y remédier. 



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Et cela m'amène à parler de ce que j'appellerai "le viol ordinaire".
Le petit "viol" de tous les jours. Le viol dans le couple.



Oui, car le post d'aujourd'hui, je vous le rappelle, tourne autour de ce concept tellement immensément sympathique qu'on est bien content d'en parler en cette si belle journée de pré-printemps, dis donc (désolée) : le concept de viol.

Revenons à cet argument tellement entendu : "Il y a aussi des femmes qui violent".

Oui, c'est vrai, il existe des femmes qui ont contribué activement aux viols de petits enfants ou abusé elles-mêmes de petits garçons ou de jeunes adolescents qui ne savaient pas bien ce qui leur arrivait. Et oui, il arrive que des femmes dominatrices et ivres de leur pouvoir  abusent de leur statut hiérarchique et/ou de leur sex appeal pour abuser d'hommes qui n'en ont pas envie, du moins pas avec leur tête.
Si une femme tripote puis tente d'abuser de l'érection incontrôlée qu'elle provoque chez un homme qui pourtant ne veut pas faire l'amour avec elle, on peut évidemment parler d'agression sexuelle. C'est un viol dans le sens où il y a manipulation mentale et ascendant de la femme sur l'homme.
Mais, à moins bien sûr qu'elle ait un véritable ascendant sur lui, il peut toujours la repousser violemment. Sauf si elle a un couteau, mais dans ce cas, je doute que le mec bande très longtemps. Et, si jamais elle arrive à ses fins, point important : il n'aura pas physiquement mal.
Quoiqu'il en soit, reconnaissez qu'il est tout de même rare que les femmes soient agressives sexuellement et qu'elles se "servent" de force. (Je ne peux malheureusement pas en dire autant de beaucoup d'hommes : les statistiques le prouvent).
Mettons donc les choses à plat : quand on parle de viol, on parle d'hommes qui violent, et essentiellement des femmes.
Un homme peut être violé par un autre homme, cela dit. Je connais personnellement deux mecs qui ont été violés étant enfants. Ces hommes là sont les seuls à connaître la douleur psychologique et physique qu'entraîne une pénétration forcée. Pénétration forcée qu'aucune femme ne peut infliger. (Et non, ce post n'est pas vraiment dans l'esprit où vous êtes autorisés à faire des blagues grasses impliquant des femmes avec des godes ceintures).

Détail technique si jamais il vous avait échappé :
Pourquoi est-ce aussi facile de violer une femme ? Car une femme n'a qu'à ouvrir les jambes (pas forcément d'elle-même) pour être pénétrée. (Heureusement que je suis là pour vous donner des infos inédites). Elle peut l'être sans le vouloir, elle peut l'être sans mouiller. Pour le mec qui pénètre, la seule différence, c'est qu'il aura un peu mal à cause du manque de lubrification. Elle, elle aura vraiment mal. Et elle sera durablement meurtrie, dans sa chair, et dans sa tête. 

Le problème du viol est que - je ne vous apprends rien - il est extrêmement difficile de le définir.


Car si je n'ai pas été violentée et pénétrée de force par un inconnu dans un lieu public (là, je suis sûre que c'est un viol), est-ce que j'ai le droit de dire que j'ai été violée ? Si je n'ai pas hurlé, si je ne me suis pas débattue, est-ce que j'ai le droit de dire que j'ai été forcée ? Si je n'ai pas crié au viol, c'est que je n'ai pas été claire et que je n'ai à m'en prendre qu'à moi-même, non ? Non ?
Dès lors qu'on n'est pas violée par un inconnu mais par quelqu'un que l'on connaît, les frontières deviennent troubles. Or, la plupart des viols sont perpétrés par des hommes connaissant leurs victimes. Ce qui, au regard de la loi, constitue une circonstance aggravante. Sauf que, pour une femme, un viol perpétré par un proche est beaucoup plus difficile à accepter comme tel. C'est pourquoi ils restent si souvent impunis. Parce qu'elles ne s'avouent pas qu'il y a eu viol, ne parlent pas, ne dénoncent pas, se mentent, se cachent.



Cette année, une élève de quatrième de mon collège a été "culbutée" dans une cave par trois de ses camarades. Mais ce n'était pas "officiellement" un viol vu qu'elle sortait plus ou moins avec l'un d'entre eux (je ne sais pas si on peut parler de "petit-ami" en 4ème, surtout si celui ci te prête à ses copains au sous sol d'un immeuble) et qu'ils n'ont pas eu à la tabasser pour arriver à leurs fins. Pourtant, je doute qu'une adolescente à peine pubère souhaite réellement être pénétrée à la chaîne par trois mecs sous les néons d'une cave entre les écuelles de mort aux rats.
C'est une fille de 13 ans, elle était amoureuse, elle voulait l'approbation de celui dont elle était amoureuse, elle s'est laissée faire par faiblesse, parce qu'elle n'a pas su dire non, parce qu'elle a été prise de cours, je n'en sais rien. Je n'étais pas là.
Tout ce que je sais, c'est qu'elle a quitté le collège. Parce qu'elle est traumatisée, d'une part, et d'autre part parce que les mecs ont ébruité leur "exploit" et que tout l'établissement s'est mis à la traiter de traînée. Les petits mecs, eux, continuent à se pavaner fièrement dans les couloirs. Je les croise tous les jours. Ils n'ont pas été inquiétés, vu qu'elle n'a évidemment pas porté plainte.
C'est elle qui souffre et c'est elle qui a honte. Eux n'ont en aucun cas le sentiment d'avoir fait quelque chose de mal. Ils n'ont probablement pas conscience de la violence de ce qu'ils ont infligé à cette fille. Ben oui, parce qu'ils n'ont pas eu mal, eux, quand ils ont mis leur zizi dans le sien. Alors comment diable pourraient-ils imaginer que ça lui a fait mal à elle ? Et puis, oserai-je ajouter, en ont-ils quoi que ce soit à foutre ? Je ne suis pas convaincue qu'ils se souciaient beaucoup de ce que l'expérience allait lui apporter.
Quand je pense qu'on répète sans arrêt aux gamins qu'il faut mettre un préservatif quand on baise. Peut-être faudrait-il insister sur le fait qu'avant de mettre une capote pour pénétrer une fille, il faut s'assurer qu'elle est consentante. Et non, une fille qui ne dit pas non n'est pas forcément une fille qui dit oui. Loin de là.


Le nombre de mecs qui se jettent sur toi comme des vautours quand par malheur tu es tellement bourrée que tu es presque inconsciente dans un bar ou une fête (ça m'est arrivé) prouve à quel point certains mecs sont prêts à se passer du consentement d'une fille ou du moins à profiter de tout ce que son alcoolémie leur permettra d'obtenir. Ils ne sont pas prêts à assumer de la forcer vraiment, alors ils s'attaquent simplement à une fille qui n'aura pas la force ou la présence d'esprit de vraiment dire non. C'est tout à fait charmant.
Je n'ai jamais été suffisamment bourrée pour me laisser faire. J'ai toujours eu un regain de vitalité au moment où un mec venait profiter de mon état, en lui hurlant dessus, généralement avant de fondre en larmes et de vomir mon alcool, écoeurée. Toutes les filles ne peuvent malheureusement pas en dire autant.

Mais revenons à ma petite élève de 13 ans, qui a été violée sans vraiment le savoir par le mec dont elle était amoureuse. Elle était ma transition pour parler de ces agressions sexuelles perpétrées non pas par des inconnus mais au contraire par des proches et, plus précisément, par un homme sur sa compagne. Sujet sensible.

Le viol conjugal est reconnu par la loi depuis 1990.

La reconnaissance du viol entre époux n'a pas été sans difficulté. La grande majorité des juristes ont longtemps estimé que dans les couples mariés le consentement aux rapports sexuels était présumé et était un élément du devoir de cohabitation évoqué par le code civil (article 215). 
Les choses commencent seulement à changer en 1980 avec le vote d'une nouvelle loi (loi du 23 décembre 1980). A partir de cette date, la définition  du viol, quel qu'il soit, renvoie au défaut de consentement. Les juges commencent donc peu à peu d'en tenir compte pour caractériser les viols, y compris ceux commis par l'époux, lentement toutefois. En 1990, ainsi, la cour de cassation admet l'existence d'un viol entre époux mais seulement parce qu'il est accompagné de violences graves (Crim. 5 sept. 1990). 
Ce n'est qu'en 1992 qu'elle admettra clairement et de manière générale que « la présomption de consentement des époux aux actes sexuels accomplis dans l'intimité de la vie conjugale ne valent que jusqu'à preuve du contraire ». La présomption de consentement de l'épouse continue donc d'exister mais elle peut être renversée par une preuve contraire. 
En 2010, enfin et seulement, la référence à la présomption de consentement disparaît (loi 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, nouvel article 222-22, alinéa 2, du code pénal), le texte précisant que le viol est réalisé lorsqu'un rapport sexuel est imposé  « quelle que soit la nature des relations existant entre l'agresseur et sa victime, y compris s'ils sont unis par les liens du mariage».

 

Confessions intimes : 
De quinze ans et demi à dix-huit ans, je suis sortie avec un garçon. Un garçon qui m'a fait du mal.
Il est étrange que j'arrive à en parler ici alors qu'il s'agit d'un sujet immensément tabou pour moi, encore aujourd'hui. Mon père et mon frère savent, mais ils savent aussi qu'ils n'ont pas le droit d'en parler ni de dire son prénom. Jamais.
Quand j'arrive à en parler, je dis généralement que j'ai vécu "des trucs pas cool", laissant aux autres le soin de comprendre par eux mêmes ce que ces quelques mots peuvent supposer. Un truc violent, douloureux, et pour lequel je n'ai pas trop de mots.
Mon histoire avec ce garçon est un des événements les plus douloureux de ma vie.
Je ne peux pourtant pas vraiment dire que j'ai été "violée".
C'était mon petit ami, il ne m'a jamais violentée physiquement et il ne m'a jamais frappée (du moins pas pour obtenir des faveurs sexuelles). Je me suis juste laissée faire. Pendant presque trois ans.
Notre relation était loin d'être parfaite, mais j'étais amoureuse et je croyais être bien avec lui par ailleurs. Alors pendant trois ans, je me suis laissée faire.
Je me suis laissée faire la boule au ventre, le coeur serré, parfois les larmes aux yeux, parfois en pleurant vraiment. Il ne voyait rien ou, s'il le voyait, ça ne l'arrêtait pas.
Pendant presque trois ans, je suis allée me coucher tôt et j'ai fait semblant de dormir pour qu'il ne soit pas tenté d'essayer de me toucher. Pendant presque trois ans, il devenait mon ennemi dès qu'il était en érection. Parce que je ne voulais pas. Jamais. Je ne prenais aucun plaisir au sexe brusque, pornographique et sans tendresse qu'il m'infligeait. (J'appréciais moyennement d'être sodomisée à sec et sans ménagement, par exemple). Pourtant, il avait réussi à me convaincre que c'était moi le problème, que j'étais frigide et anormale.
(Après l'"amour", quand je lui demandais de me prendre dans se bras et de me dire qu'il m'aimait, il ricanait en me disant que les femmes étaient terribles à toujours vouloir des câlins et des je t'aime, que c'était pas comme ça la vraie vie, que j'avais vu trop de Walt Disney) (Je n'invente rien) (Maintenant que j'y pense, ma passion pour Walt Disney vient peut être de cette époque là).
Quand je disais "non" (souvent), il m'avait à l'usure, en insistant, en me forçant la main. Je finissais toujours pas céder, de guerre lasse.
J'avais seize, dix-sept ans. J'ai subi parce que je pensais que c'était ce qu'on attendait de moi, parce que j'étais perdue, parce que je ne m'avouais pas ce qu'il se passait. Je n'avais jamais connu d'autres garçons, j'étais paumée et sous sa coupe, j'étais conne et faible. 
Je ne me suis jamais pardonnée de m'être laissée faire si longtemps. Pire, je ne me suis jamais pardonnée d'avoir été amoureuse et dépendante de lui. De cette sombre sous-merde.
La honte me ronge encore aujourd'hui.
Et pourtant, alors que le fait de penser à cette époque de ma vie m'est encore aujourd'hui infiniment pénible, je ne pense pas que (où qu'il soit) (j'espère loin) il ait le moindre souvenir de m'avoir maltraitée.
C'était clairement un mec horrible, et il est évident que s'il avait été aimant, tendre et à l'écoute, il aurait été soucieux de mon bien être, il aurait su que je n'étais pas consentante sans que j'aie à hurler et à le repousser de toutes mes forces, et il aurait agi en conséquence. S'il avait été à l'écoute - que dis-je, s'il avait simplement eu le moindre regard pour moi - il aurait vu que je pleurais. Pourtant il nierait sans aucun doute en bloc s'il entendait le mot "viol". Car il ne m'a jamais violée en ayant conscience de le faire.
Du coup, à partir de quel moment est-ce un viol ?
Est-ce un viol dès lors que je me suis sentie violée ?
J'ai eu très mal à l'intérieur de mon corps pendant trois ans, mon vagin me brûlait, j'avais une infection urinaire chronique, je pissais du sang (oui, je suis impudique) : est-ce que c'est une preuve de violences sexuelles ?
Comment ça marche, exactement ?
Si le mec n'est pas conscient d'avoir violé, est-ce que ça reste un viol ?
Est ce que violer par ignorance est moins grave que de violer en connaissance de cause ?
Bref, viol ou pas viol (je me passerai du label), je sais que je n'ai jamais rien vécu de plus violent depuis, et que j'ai appris à aimer le sexe, mais que je ne m'en suis jamais vraiment remise. 
Voilà.
Fin des confessions intimes. (Ou presque).
Pfiou.



Depuis cette époque, donc, je suis immensément sensible à cette tendance qu'ont les hommes à insister lourdement auprès de leur compagne quand ils ont envie de faire l'amour et que, pour une raison ou pour une autre, ce soir, elle, non.
Et ils le font presque tous au moins une fois de temps en temps.
Ils insistent, ils supplient ("Allez s'il te plaît"), ils font du chantage en boudant ("T'as pas envie de moi, tu ne m'aimes plus, c'est grave, on a un problème, notre couple est en danger, et c'est de ta faute"), ils se mettent à te tripoter en pensant que ça va t'exciter et que le désir viendra, ou juste en espérant que tu vas céder, même si t'as pas vraiment envie. Pour qu'ils te foutent la paix.
Parce qu'ils souffrent d'être rejetés, je le conçois. Parce qu'ils sont blessés, et parce qu'ils sont frustrés, je comprends. Et parfois, bien sûr, quand tu caresses une femme qui n'avait pas envie au départ, le désir vient. Sauf que quand une femme dit non, c'est qu'elle sait que le désir ne viendra pas (elle connaît son corps). Et dans ces moments là, c'est pas cool d'insister. Même si vous avez simplement le sentiment de réclamer de l'amour à la femme que vous aimez et donc de ne rien faire de mal.

L'éternel problème de l'homme qui réclame et de la femme qui dit non.
(Il arrive évidemment qu'une femme veuille faire l'amour et pas son conjoint, et qu'elle se sente rejetée, et qu'elle le gonfle avec ça, en lui donnant malgré elle le sentiment d'être une moitié d'homme parce qu'il manque de désir, de même qu'une femme se sentira attaquée dans sa féminité si on lui reproche de ne pas aimer le sexe. Et il arrive qu'une femme insiste aussi, en espérant donner envie à son mec qui n'en avait pas envie au départ. Je ne dis pas le contraire. Je dis juste que cette situation est, il me semble, plus commune dans l'autre sens, et qu'elle est en général plus douloureuse pour une femme). 
Une des bases du problème est que les mecs ont, en moyenne, envie de faire l'amour beaucoup plus souvent que nous : nous sommes donc souvent le réceptacle de leur désir plus que l'agent du nôtre.
Souvent, les femmes en couple n'ont pas le temps d'écouter leur désir et de le laisser monter en elles car leur compagnon est toujours là pour les devancer et prendre l'initiative. Auquel cas elles ont deux options : soit elles sont adaptables et arrivent à avoir envie dès lors que leur conjoint les sollicite, soit ce n'est pas le cas et ça va poser un problème.
Car parfois, un homme qui a envie de faire l'amour est capable de mal se comporter sans réellement le savoir. Même un mec bien, et même avec une fille qu'il aime.
Parfois, un mec qui bande oublie ses principes et use de stratagèmes pas toujours reluisants pour obtenir ce qu'il veut. Sans avoir conscience de faire un truc potentiellement répréhensible, certes. Mais qui peut l'être.
1) Parce qu'insister de façon poussée pour faire l'amour avec sa copine quand elle n'en a pas envie peut déjà être perçu comme une forme de violence (parce qu'il y a manipulation mentale et ascendant de l'homme sur la femme), et que même si elle finit par céder, elle peut le vivre plus ou moins consciemment comme une forme d'agression.
2) Parce qu'une fille qui accepte de coucher avec son mec alors qu'elle n'en a pas envie aura forcément plus ou moins mal (quand t'as pas envie, t'as mal), et que le fait qu'il soit prêt à lui faire mal pour obtenir ce qu'il veut, c'est pas normal.
(Et non, il n'est pas non plus acceptable de réclamer une pipe : si la fille en prend l'initiative parce que ça lui fait plaisir de vous faire plaisir, très bien, mais une femme n'a en aucun cas le devoir de vous soulager quand vous êtes excités, même si elle est votre petite amie).
3) Parce que - et là je dis ça pour vous - c'est contre-productif. Parce qu'une fille qui s'est sentie forcée une fois aura moins envie de vous la fois d'après, et que donc, en insistant lourdement quand elle n'a pas envie, vous tuez son désir sur le long terme. Et vous vous tirez une balle dans la bite par la même occasion.



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Il y a quelques mois déjà, un soir, le Capitaine a eu envie de faire l'amour.
Je l'ai arrêté, je lui ai dit que j'étais désolée, que j'étais naze, que j'étais pas dans le mood.
Bref, que j'avais pas envie.
Il a dit ok.
Il n'a pas insisté, il n'a pas continué à me tripoter, il ne s'est pas frotté contre moi en faisant des petits bruits comme un petit chiot mignon qui demande une faveur, il a juste dit ok.
Et il m'a laissée tranquille.
Sans rancoeur, sans amertume, sans faire la gueule, juste simplement.
Il a gardé ma main dans la sienne, et il a fermé les yeux pour dormir.
A ce moment-là, je l'ai trouvé tellement merveilleux que je lui ai sauté dessus.

Plus tard, il y a environ un mois, je lui ai reparlé de cette histoire.
J'ai raconté : "Et là, t'as pas insisté, t'as pas fait la gueule, t'as juste dit ok. Et j'ai trouvé ça tellement fantastique de ta part que j'ai eu immédiatement envie de toi".
Il m'a regardée avec de grands yeux, stupéfait, choqué, et il a dit "Ben encore heureux que je t'ai pas forcée ! Ca s'appelle un viol !".
Je me suis tue pendant quelques secondes.
J'ai répété ce qu'il venait de dire : "Oui. Ca s'appelle un viol".
Et j'ai fondu en larmes. 

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Je sais que vous êtes très nombreux à être comme lui, et je ne suis pas en train d'accuser mes lecteurs de viol, rappelons le. Je suis simplement en train de parler d'un phénomène de société et j'aimerais que vous l'acceptiez. Je ne dis pas que toutes les relations entre les hommes et les femmes sont comme ça, je ne dis pas que tous les hommes sont des violeurs et les femmes des victimes, et je ne nie pas qu'il est fort possible que mon expérience m'ait rendue particulièrement sensible à la question. N'empêche que je n'invente pas. Que je ne suis pas la seule. Et que je pense que c'est un sujet qui mérite d'être soulevé. Non ?

vendredi 7 mars 2014

Martine fait de la politique

ATTENTION POSTE FLEUVE.
Installez vous bien dans votre fauteuil et allez vous servir un peu de popcorn avant de commencer.

I deal with a hundred kids. A day. 

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Je suis de retour de vacances. 
Vacances que j'ai essentiellement passées à regarder des séries bêtes, disons-le.

En effet, le Capitaine travaillant très dur, j'ai décidé de me ménager le cerveau pour deux. 
J'ai donc enchaîné en deux petites semaines une saison de Devious Maids, une de Real Humans et une autre de Revenge.
C'est que j'avais déjà fini la deuxième saison de House of Cards, voyez-vous, et qu'un seul épisode de True Detective par semaine, c'est trop peu. (True Detective, la nouvelle grande série du moment).

Il fallait que je m'occupe, quoi.
(Et j'allais quand même pas aller au musée, si ?)
Sauf que si, je vous l'accorde, j'aurais pu.
J'ai d'ailleurs lamentablement loupé l'expo de la British Gallery sur The Georgians qui avait l'air vraiment bien, mais bon, tant pis. J'achèterai le livre.
En attendant de l'acheter je me suis consolée dans leur gift shop en achetant une carte sur laquelle il est écrit : "What to say when you talk to yourself". C'est une fausse couverture de bouquin. Apparemment c'était le titre d'un vrai livre au départ. (Livre que je regrette de ne pas pouvoir lire : ça m'aurait sûrement aidée pour écrire ce blog).

Mais revenons-en à mes séries. Real Humans c'était pas mal, en fait. Même si ça s'épuise vite.
L'idée est bonne (quoique loin d'être inédite), et ça m'a inspirée pour une séquence avec mes 3e sur les humains et les robots et les Lois de la Robotique d'Assimov et tout, et ça, c'est cool. J'ai même récupéré des films sur des petits chiens robots japonais (c'est trop mignon, j'en veux un) et regardé I-Robot pour l'occasion. Si ça c'est pas une prof dévouée ! (Je ne regarde pas de films avec Will Smith pour le premier venu).

Bref, les vacances sont finies.
J'ai donc laissé mon matelot au bord du Regent's Canal pour rejoindre mes appartements et ma petite Lizzie Bennett avec son chapeau à ruban. 
Oui, Lizzie Bennett, c'est le nouveau nom de Nala. 


En effet, depuis qu'on lui a ligaturé les trompes (pauvre petite poule) (en même temps ça y est, elle était pubère, elle allait vouloir coucher avec les garçons, cette petite gourgandine) (saute-au-paf comme elle est, à faire du gringue au premier venu, ça n'aurait pas été joli à voir, moi je vous le dis) (je sais ce que vous allez me dire : que les chiens ne font pas des chats) - Depuis qu'on lui a ligaturé les trompes, donc, Nala porte une fort jolie collerette violette attachée avec un ruban vert. Elle a donc un joli petit noeud vert sous le menton.
Bref, j'ai un petit personnage de Jane Austen à la maison. 
Même si -comme Lizzie- elle manque un peu de tenue et n'est pas tout à fait prête pour la vie en société (sa manie de suivre les gens aux chiottes et de se placer pile sous le jet d'urine de mes invités pour jouer avec a parfois entraîné quelques déconvenues).
Nala a une collerette, quoi. Du coup elle n'y voit plus rien, elle se prend les murs, et elle renverse tout sur son passage comme un petit éléphant en tutu. Mais c'est pas grave, elle est chou.


Pendant que le Capitaine travaille dur outre-Manche et que Mamzelle Scarlett s'amuse à saccager mon appartement et à éventrer mes paquets de céréales, donc, je vis pour ma part ma petite vie de professeur dans le 93. 

Voici donc un résumé de ma première semaine post-vacances que nous intitulerons :  

LE POINT WESH MADAME

3ème, en plein cours :
Manon (hilare) : Madame Madame, Salayna il a dit que j'étais chauve !! 
(Inutile de préciser que Manon n'est pas chauve. Manon a une jolie petite paire de nattes. Mais Salayna n'arrête pas de la taquiner - gentiment - et elle le lui rend bien).
5 minutes plus tard :
Manon : Madame, madame, Salayna il arrête pas de m'embêter ! Vous savez ce qu'il a dit ??! Il a dit que j'étais chauve et que mon père c'était une chèvre !!!
Salayna : Ouais ben y a que la vérité qui blesse, hein !
Hahaha. J'ai ri. 

3ème, contrôle, les élèves ont leurs copies, j'explique les consignes :
Moi : Là à l'exercice 3 vous devez juste poser deux questions à un ami pour lui demander ce qu'il a fait hier. C'est pour vérifier que vous savez poser des questions au passé.
Sarah (sincèrement perdue) : Hein ? On leur demande là comme ça à l'oral ? 
Maxime (inquiet) : Mais on les écrit en anglais ?! 
Vingt minutes plus tard, en plein contrôle :
Neigia (se tourne vers Yasmine pour son exercice) : Yasmine t'as mangé quoi hier soir ?
Arf...

3e, compréhension orale :
L'enregistrement disait que la peine capitale (capital punishment) avait été abolie sous le règne d'Elizabeth II d'Angleterre. Un élève m'a annoncé après coup, ravi d'avoir compris, que grâce à Elizabeth II, le capitalisme avait été aboli. (Sauf qu'il a dit "abolu"). Ca m'a fait rire. Je lui ai dit que si le capitalisme avait été aboli, ça se saurait.

6ème, cours sur les descriptions physiques, ils doivent se décrire à l'écrit.
Dorcas et Myriam se mettent à parler entre elles, à voix haute, alors qu'elles sont assises à deux points opposés de la classe :
Dorcas : Ils sont comment mes cheveux à moi ? Ondulés ou bouclés ?
Myriam : Et moi ? Ils sont longs ou mi-longs ?
Dorcas : Mi-longs je dirais. Et tu dis que t'es blonde, hein !
Myriam : Ouais vas-y non je suis pas blonde !
Moi : Oh, les filles ! Vous faites votre exercice en silence !
Dorcas (s'énerve) : Mais on parle du cours !! Oh la la vas-y on travaille, là ! Ouais ben si c'est comme ça je fais pas mon exercice, alors ! Je travaille et vous me criez dessus ! Vas-y... 

3e, Yossra - emmerdeuse notoire - joue sur son portable en plein cours. Je le lui confisque.
Yossra (suppliante) : Madame pitié rendez-le moi !! Rendez-le moi madame sinon après j'aurai plus le droit d'avoir un portable parce que ma mère elle m'a dit que c'est la dernière fois, que si je me fais encore confisquer mon portable en cours c'est fini ! Un peu de pitié madame, allez !! Et puis la dernière fois que le collège a appelé ma mère elle a fait un malaise ! Ma mère elle a des problèmes de tension madame ! (Puis, voyant que ça ne marche pas, s'énerve) Eh mais madame vous aimez faire du mal aux gens c'est ça ?! Vous avez pas de pitié !! Si vous appelez ma mère pour le portable elle va faire une crise de nerfs je vous dis !! Vous voulez faire du mal à ma mère c'est ça ?! Si ma mère elle fait un malaise à cause de vous je vous jure je vous colle un procès, vous allez pas vous en sortir comme ça !! 



3e, heure de contrôle
Anis rentre dans la salle en chantant et en dansant, puis donne un coup dans la porte et vient me voir à mon bureau pour me dire qu'il s'est fait mal à la main et qu'il doit aller la passer sous l'eau. Je lui dis non, et lui demande d'aller s'asseoir. Il s'énerve, et quitte la salle, fâché. Je le rappelle, il est déjà parti. Puis il revient comme une fleur 20 minutes plus tard. Je ne l'accepte pas, il se fâche puis repart.
(Anis danse, chante, parle à tord et à travers, rit très fort pour un oui ou pour un non, déborde d'une énergie inquiétante, dit régulièrement aux autres en plein cours qu'il les encule et qu'il leur chie sur la gueule, et devient très agressif quand on le rappelle à l'ordre. Un jour, j'ai vraiment cru qu'il allait me frapper. Apparemment il est comme ça depuis la 6e, rien n'y fait. Alors je fais cours tant bien que mal avec lui dans la salle. je n'ai pas le choix).

Plus tard, j'appelle son père qui me dit, accablé, que lui et sa mère font tout leur possible, qu'ils sont dépassés, qu'ils lui parlent tous les jours de son attitude en classe, et j'entends la mère derrière qui fond en larmes, et le père qui me supplie de garder Anis jusqu'à la fin du collège "pas pour Anis, lui il mérite pas, mais pour sa mère, madame..." C'était horrible. 


Souvent, quand tu appelles les parents des élèves vraiment pénibles pour leur parler de l'attitude de leur gamin en classe, tu te retrouves face à des situations que tu n'avais pas prévues. Et c'est très dur et déroutant. Il y a :
- Le parent qui te dit qu'il va régler ça puis appelle son gamin, l'insulte et se met à le taper à peine avant d'avoir raccroché.
- Le parent qui se met à t'expliquer qu'il est en plein divorce et que c'est pas la faute de son gamin s'il est aussi pénible, que c'est parce que c'est très dur pour lui, et qui te raconte sa vie privée pendant mille ans, et il semble évident qu'il se sent tellement coupable qu'il est prêt à tout faire passer à son fils jusqu'à la nuit des temps.
- Le parent qui te dit qu'il est à bout, qu'il ne gère plus son enfant, qu'il ne sait plus quoi faire, et qui te supplie de le punir autant que tu peux.
- Le parent qui te dit des trucs horribles sur ses mômes du genre "Son frère non plus, c'était pas une lumière, mais au moins il faisait pas chier".
- Le parent qui te dit qu'il sait ce qu'il s'est passé, son gamin lui a tout raconté, et en effet il veut te rencontrer en personne pour parler, parce qu'apparemment tu as collé son enfant alors qu'il n'avait rien fait, et ce uniquement parce que tu le détestes pour une raison inconnue, et que ça c'est inadmissible, d'ailleurs il va te dénoncer au rectorat. 
etc., etc.
Il y a de tout. 
Quand tu convoques les parents d'un élève difficile, tu comprends souvent mieux pourquoi il est comme il est : ils sont parfois tout aussi grossiers, belliqueux et irrespectueux que leur progéniture. Ils sont aussi souvent simplement dépassés, paumés, débordés, pas très présents, pas très doués, pas au courant, démissionnaires, ou encore sévères sans être à l'écoute, froids, pas psychologues pour deux sous, durs, potentiellement violents.
Et dans ces cas là, tu plains les gamins, tu plains les parents, tu plains l'humanité, et en même temps t'as les boules, et t'as la rage, et tu te dis que le monde est irrécupérable.
Tout cela est d'une complexité infinie. 

(Par ailleurs, pour rester dans la thématique des parents d'élèves et de leur rapport aux enseignants, je vous donne le lien de ce fameux article sur les parents d'élèves relou qui a fait le tour des salles des profs).  

Autre épisode de la semaine :
Mardi, le professeur d'allemand s'est fait bordéliser par les élèves dont je suis professeur principale (des 5ème). L'un d'eux a balancé une table par terre en disant aux autres "Venez, on s'y met tous, comme ça il pourra rien dire !!"
Je l'ai appris aujourd'hui, au détour d'une conversation. Rien n'avait été fait. 
Je connais ce gamin. J'ai souvent appelé ses parents dans les deux dernières années, sans grand succès. Ils lui pardonnent tout : tout ce qui les intéresse, c'est qu'il ait 18 en sport. Il veut devenir footballer, il a été repéré par un club, c'est le petit prodige de la famille, il a tous les droits.


Le seul moyen que j'ai trouvé aujourd'hui pour lui faire un peu peur, c'est de lui dire que pour être un bon footballer il faut du sérieux et de la discipline et que s'il a un mauvais dossier qui dit qu'il est ingérable, il aura beau être très doué, on ne voudra pas de lui. Je ne suis pas sûre que ça soit vrai, mais ça semble avoir marché un petit peu. Plus tard, le principal adjoint, que j'étais allée voir pour en parler, l'a convoqué dans son bureau et a menacé d'appeler son entraîneur. Là, ça a marché : le môme était vraiment inquiet.

Seulement, si je n'avais pas décidé d'appeler les parents et de faire quelque chose, il ne se serait rien passé. Pourquoi ? Parce que le prof d'allemand m'en a parlé au détour d'une conversation, uniquement parce que justement je venais de dire que ce môme était pénible. Mais il ne comptait pas écrire de rapport ou informer l'administration.

Pourquoi ? Parce qu'il pense :
1) que ça ne sert à rien (et il n'a pas complètement tort : l'insolence et l'agressivité sont tellement banalisées, on a tellement l'habitude, on sait tellement que les gamins ne seront jamais virés no matter what they do que c'est un peu décourageant). 
2) que ça ne servira qu'à le stigmatiser lui.

C'est un véritable problème. 
En effet, souvent, les profs n'osent pas parler lorsqu'ils se font bordéliser. Que ce soit par un ou par plusieurs élèves. Parce qu'ils vivent ça comme une honte et un échec personnel. Du coup, vu que personne ne parle, tout le monde reste dans son coin, persuadé d'être le seul à avoir du mal à gérer. Et la plupart des profs ne vont même pas dénoncer les élèves à leurs supérieurs parce qu'ils pensent, souvent à raison, que l'administration en déduira qu'ils sont incompétents.
(Et on s'étonne après que les profs aient gueulé quand on a voulu donner les pleins pouvoirs aux chefs d'établissement pour les évaluer : c'est que les profs font rarement confiance à leurs supérieurs hiérarchiques et ont souvent le sentiment désagréable que ces derniers sont là non pas pour les soutenir mais pour les fliquer).
Et c'est un cercle vicieux, car comment l'administration peut-elle savoir ce qu'il se passe dans son collège et arranger les choses si on ne peut pas s'appuyer sur elle de peur d'être jugé ? 



Quand, en janvier, un certain Jules a réellement fait de ma vie un enfer et que j'ai craqué en salle des profs, tous mes collègues se sont exclamés : "Ah Jules, quel emmerdeur, celui là", puis se sont tous mis à raconter des anecdotes aussi atroces les unes que les autres à son sujet. Sauf qu'ils n'avaient jamais rien signalé (parce qu'ils n'avaient pas envie de s'emmerder, parce qu'ils ont l'habitude, parce qu'ils pensent que ça ne sert à rien). 
Du coup, quand je suis allée informer la principale que Jules me manquait de respect jour après jour et que, mes sanctions ne suffisant pas, il allait falloir passer au stade supérieur, elle m'a fait remarquer que personne ne s'était encore plaint de lui à part moi et que le problème venait donc peut-être de moi et d'une éventuelle incapacité de ma part à gérer mes élèves. 
C'est toujours agréable. 
Un gamin m'insulte, mais c'est ma faute parce que ça veut dire que je n'ai pas su lui donner l'envie de ne pas le faire. En gros. (Et donc si on me viole c'est sûrement que j'étais habillée comme une pute, aussi). 

Cela dit, encore une fois, je ne raconte que les trucs durs. 
Qui sont nombreux et épuisants quand ils s'accumulent trop, mais il y a aussi de bons côtés, je tiens à le dire. (Et je ne parle pas que des vacances).
La majorité des élèves sont très mignons et, quand les classes sont bien lunées, c'est un vrai plaisir d'enseigner, de les voir s'intéresser, apprendre, progresser, de les voir lever la main comme des enfants excités et désireux de montrer ce qu'ils savent. C'est gratifiant de les voir bosser, c'est gratifiant de leur être utile, et c'est gratifiant de se sentir appréciée. 
Et puis il y a les élèves qui restent après la sonnerie pour papoter et te donner des bonbons et te raconter des blagues, et les sixième qui chantonnent "Un petit cochon pendu au plafond" à la récré. Ce qui change des troisième qui chantent "Ferme ta gueule de merde toi l'enculé" en plein cours (Je ne dis pas que je ne l'ai jamais chantonnée moi-même gaiement au petit déjeuner avec mon grand frère, en VO - avouez que ça swingue -, mais là n'est pas la question).

Parfois, ce sont d'ailleurs les mêmes qui sont à la fois mignons, attachants et odieux. Des élèves avec qui tout se passe bien d'habitude puis qui un jour font une connerie : alors tu les reprends, voire tu les punis, et là ils partent en vrille : d'abord ils supplient, puis ils te traitent de salope, et te disent que tu sers à rien. (Un peu comme un mec dans la rue qui te dit que t'es charmante puis t'insulte deux secondes après parce que t'as refusé de le sucer). Et le lendemain ils ont oublié. Et ils te disent "Bonjour Madame" en souriant comme si de rien n'était. Ils n'ont pas le sentiment d'avoir fait quoi que ce soit de grave. Pour eux, c'est juste une façon normale de réagir à une contrariété. Parfois ils s'excusent ("J'ai abusé Madame, pardon"), mais restent très désinvoltes. Après tout ils ont simplement traité la prof de salope, y a quand même pas mort d'homme.

Bref.
Voilà pour mes chroniques de jeune prof du Neuf Trois.


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Sinon, pour continuer sur le même thème il y a un appel à la grève générale des profs du 93 le jeudi 13 mars pour demander plus de moyens. Mon collège n'est pas le plus touché - on s'en sort bien - mais ça ne va pas durer éternellement vu le train où vont les choses. Et puis on fait grève pour soutenir les autres établissements. Parce qu'on nous donne à tous, d'année en année, de moins en moins de moyens. 

SAUVEZ WILLY

Petit point "L'Education Nationale Va Mal" pour ceux qui ne seraient pas au courant. 

- Jusqu'à cette année, il existait une soixantaine d'établissements ZEP (sur 120 collèges) dans le 93 : des établissements difficiles qui bénéficiaient de moyens supplémentaires. Cette année, Vincent Peillon a décidé de supprimer les ZEP pour réserver l'argent aux établissements réellement difficiles, qu'il a appelés des REP. Suite à cette réforme, il y aujourd'hui un total mirobolant de six REP dans toute la Seine Saint Denis. REP qui reçoivent finalement à peine plus d'argent que quand ils étaient classés ZEP. Il y aura quelques nouvelles REP créées à la rentrée 2015, apparemment, mais pour l'instant, c'est une cinquantaine d'établissements difficiles qui perdent leurs aides.
Autant dire que c'est un scandale. (Pour information, mon établissement, comme plus de 90% des établissements du 93, n'est, lui, qu'un banal établissement "Prévention Violence"). 
On demande donc plus de moyens pour les établissements difficiles.

- Les dotations horaires des établissements ne font que baisser. Ca veut dire que les écoles peuvent financer de moins en moins d'heures de cours : ciao les cours de soutien en petits groupes, ciao les cours de remédiation pour élèves en difficulté, et surtout, ciao les classes à effectifs vivables. Comme ils ont des dotations horaires de plus en plus ric rac, les établissement ne peuvent en effet financer qu'un minimum d'heures, et donc avoir un minimum de classes. 
Du coup, au lieu de créer des classes afin de répartir les effectifs, ils surchargent les classes qui existent déjà. De ce fait, on se retrouve avec 4 classes à 27 élèves (le maximum prévu par les textes est normalement de 25 élèves par classe) au lieu de 5 classes à 21 ou 22 élèves (ou bien 4 classes de 25 et une classe plus difficile mais à effectif réduit, par exemple), ce qui coûterait plus cher à l'Education Nationale mais changerait la vie des profs et surtout des élèves : tout se passerait mieux, il y aurait moins de problème de discipline, on pourrait davantage se concentrer sur chaque élève et gérer l'hétérogénéité de nos classes (à savoir les différences de niveau des élèves dans une même classe). 
On demande donc - sinon l'augmentation - du moins le maintien des dotations horaires des établissements, qui ne cessent de baisser.

- Ils suppriment des postes, ou n'en créent plus de nouveaux, même quand le nombre d'élèves augmente. Du coup, vu qu'un prof n'est pas censé faire plus de 18h de cours par semaine et que beaucoup sont à temps partiel comme moi parce qu'à temps plein c'est trop dur, il n'y a parfois plus assez de profs pour faire cours à toutes les classes. Alors l'administration rajoute des heures sup' aux profs et/ou engagent des vacataires pour combler les trous : parce que les vacataires c'est cool vu qu'on peut les payer moins et qu'on peut les virer. 
D'une part, ça précarise le métier d'enseignant, et d'autre part, ça implique qu'on engage des profs qui ne sont pas forcément formés, qui n'ont parfois qu'une licence, et qui ne resteront pas - alors que c'est tellement plus facile pour un prof de gérer des élèves quand il les connaît bien et qu'il est dans l'établissement depuis longtemps. Changer sans arrêt, se réadapter à une nouvelle équipe chaque année, surtout en début de carrière quand on manque de repère, c'est atroce. (Les vacataires peuvent rester plusieurs années de suite, cela dit, mais ce n'est pas forcément l'idée). 
Par ailleurs, comme il y a de moins en moins de profs et qu'on surcharge de boulot tous ceux qui sont disponibles - parfois en les faisant bosser à temps plein (18h minimum) sur deux ou trois établissements - il y a de moins en moins de profs pour faire des remplacements et il arrive que des classes n'aient aucun cours d'histoire ou de maths pendant un mois entier. 
On demande donc la création de nouveaux postes.

- Quand j'ai commencé ma carrière, j'avais déjà des élèves plus ou moins "handicapés" (mentaux, j'entends) dans mes classes, à raison d'un par classe environ. Mais ils n'étaient pas seuls : ils avaient des AVS (Auxiliaire de Vie Scolaire) qui venaient en cours avec eux et les aidaient à suivre et à noter leurs leçons. Aujourd'hui, j'ai toujours un élève ayant des "difficultés d'apprentissage" par  classe, sauf qu'il n'y a plus d'AVS. Parce que ça coûte trop cher et puis on n'en trouve plus, il n'y en a pas assez. 
Ces élèves sont des élèves ULIS (Unitées Localisées pour l'Inclusion Scolaires), qu'on est censés intégrer aux classes. Et ils semblent clairement contents d'être là, mais le problème est que je ne peux absolument pas m'occuper d'eux et leur donner un enseignement adapté. Je ne suis pas formée pour ça, et je dois m'occuper de tous les autres élèves, ce qui me prend tout mon temps et toute mon énergie. Par ailleurs on ne me demande même pas de le faire : on ne me demande pas de les noter, vu qu'il est évident qu'ils sont incapables de faire les mêmes contrôles que les autres. Alors je les interroge un peu pour les inclure, et je leur donne les exercices et les contrôles comme aux autres, mais je ne les note pas. Ce qui est dur. J'ai l'impression de les stigmatiser en les traitant différemment des autres, mais ce serait pire de les noter selon le même barème et de leur mettre de mauvaises notes... Ils sont donc là dans la classe sans en faire réellement partie. Ils ne sont pas complètement à l'abandon car ils sont régulièrement réunis tous ensemble (tous niveaux confondus) dans une classe avec une prof spécialisée. Mais tout de même, ce système semble un peu bâtard, et il semble qu'ils ne reçoivent pas toute l'aide dont ils ont besoin. 
Une des raisons de cette grève est donc qu'on réclame des AVS.

- On réclame aussi des surveillants. Mais, à discuter avec les représentants des autres établissements, il semble qu'on nous dise à tous la même chose : que le problème n'est pas le manque de surveillants mais notre manque d'organisation, et qu'on pourrait tous faire plus avec moins si on le voulait vraiment. Les établissements sont même audités, comme des entreprises privées, pour s'assurer qu'il y a un maximum de rentabilité avec un minimum de moyens et pour supprimer toute dépense superflue. Et je ne suis pas contre l'idée de faire des économies là où il y a de l'argent mal dépensé, mais bon, il faudrait quand même penser à arrêter les conneries. 
On nous sert la ceinture sur tous les fronts : on a trop peu de surveillants, les salles sont dégueu parce qu'on a trop peu de personnel pour les nettoyer, la cantine est devenue plus chère mais pas meilleure, la salle de sport est délabrée à un point que vous n'imaginez pas, le lavabo de la salle des profs est un robinet sous une sorte de chauffe-eau apparent comme je n'en ai jamais vu à part en Bolivie, un store sur deux dans les classes est cassé, et on nous tape sur les doigts parce qu'on fait trop de photocopies (c'est un reproche qui nous attend régulièrement en salle des profs, écrit en gros sur le tableau). Comme si on faisait des cocottes en papier avec...

Bref, pour ceux qui le croiraient encore, on ne fait pas grève pour réclamer des privilèges, mais pour demander à pouvoir faire notre métier correctement. 
On ne demande pas de revalorisation de nos salaires. On ne demande même pas le dégel du point d'indice de nos salaires, qui est gelé depuis 2010. (Le point d'indice de nos salaires doit normalement être revalorisé tous les ans pour prendre en compte l'inflation : or, alors que l'inflation continue de progresser, nos salaires, eux, n'ont pas bougé d'un pouce depuis 4 ans - et le dégel n'est pas pour demain). 
Tout ce qu'on demande, c'est plus de moyens (que dis-je, simplement autant de moyens, vu que le problème est qu'on nous prend de l'argent) pour pouvoir faire notre métier correctement, et donner l'éducation de qualité qu'on aimerait pouvoir donner.
Et je pense qu'on est tous d'accord que c'est essentiel pour l'ensemble de la nation. D'autant que cette baisse des moyens concerne tout le monde, aussi bien l'école primaire que la fac, et que si on ne peut plus prendre les élèves en charge dignement en primaire, alors les collégiens seront de plus en plus nombreux à arriver en 6ème sans vraiment savoir lire ou écrire, et ce sera de pire en pire...

Du coup je ne peux pas vous appeler à faire la grève si vous n'êtes pas profs, bien sûr, mais je peux vous demander de nous soutenir, et de faire passer le message autour de vous, afin que les gens sachent un peu quelle est la réalité de notre métier et ce qu'on demande exactement. 
Et non, on n'est pas payés quand on fait grève. 
Et non, on ne va pas faire grève dans nos lits.
(Et pourtant y a plein de bonnes séries à mater, donc vous voyez un peu le degré d'investissement !).

Et comme je n'ai pas trouvé de "Martine manifeste", je vous mets ça à la place :


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Sinon, pour égayer ce post, permettez-moi de vous raconter une blague :

- Qu'est ce qu'un canif ?
- Un petit fien.

De rien.

Et une autre pour la route :
C'est deux vaches dans un pré. (Avouez que ça commence bien).
La première vient voir l'autre et lui dit ;
- Putain je suis pas bien en ce moment... Je suis super angoissée, je me sens mal, je dors plus, ces histoires de vaches folles ça me fait flipper, je te dis pas... Ca te fait pas flipper, toi ?
- Oh, tu sais, moi je m'en fous, je suis un canard. 

Voilà. C'était le mot de la fin.
Bon week-end à tous.