mercredi 12 novembre 2014

Bombay baby n°2

Ou la suite du récit de mes aventures trépidantes au loin, tout là bas dans ces contrées exotiques où c'est pas pareil que chez nous dis donc.



L'autre jour, BB et moi au café, retrouvailles après mon séjour de deux semaines en Inde.
BB : Bon alors un mois au Rajasthan en juillet avec Lady V et toute la clique ?
Moi : Ben ouais mais le truc c'est que juillet c'est la mousson, c'est pas exactement le moment idéal pour y aller...
BB : Ah merde, t'as raison, j'avais pas pensé à ça. Et la mousson en Asie y a plein de moustiques c'est la mort.
Moi : Le moment idéal pour y aller c'est Noël ou février. Au pire on part que deux semaines, c'est bien aussi. Moi là je suis partie deux semaines et j'ai l'impression d'être partie deux mois, sincèrement. On peut y aller en février. Ah non t'es au Chili. A Pâques ? Ah non tu seras repartie faire le tour du monde, non ? Dammit. Bah au pire on a toute la vie pour aller au Rajasthan, hein. Février 2016 ? 
BB : Mais non ma chérie, si on veut partir c'est maintenant ! Moi je fais des mômes, après !

Mon Dieu... Tout va tellement vite.
BB vient de s'installer officiellement avec la femme de sa vie. Elles se marient en juin. Puis elles partent six mois faire le tour de l'Asie et en rentrant elles font un enfant.
Tout va tellement vite. 
Pfiou. Flippant. 

Mais reprenons. L'Inde.


Aparté : Oui je sais je n'écris plus jamais, je m'en excuse. Même Titiou Lecoq, qui a pourtant deux enfants, écrit plus que moi. Je sais. C'est pourquoi j'ai décidé de me comparer désormais davantage à Wandrille. Oui parce que Wandrille, lui, il n'écrit jamais sur son blog - blog pourtant intitulé Toujours un Truc à Dire - et ce peut-être parce que, comme moi, il n'a pas toujours des trucs à dire, justement. (Le fait de n'avoir rien d'intéressant à raconter m'a rarement arrêtée jusqu'ici, vous allez me dire, mais bon). (Wandrille, de son côté, est par ailleurs en fait diantrement prolifique sur sa page Twitter où il dit bien des bêtises à longueur de journée, mais là encore, passons). Tout ça pour dire que ces derniers temps j'ai 1) moins de temps pour écrire (j'ai en effet décidé de me consacrer davantage à la vraie vie et de passer plus de temps à agir sur le monde mater des films à poil au lit avec mon mec) et 2) moins de trucs passionnants à raconter (rapport peut-être à toutes ces heures de glande intersidérale écoulées dans les bras de l'amour, mais il ne faut jurer de rien).

Bref. L'Inde.


Je suis rentrée il y a deux semaines déjà et c'était la première fois de ma vie que je rentrais à Paris sans me dire que "pouah, Paris c'est dégueu, pollué et stressant".
Ca m'a perturbée.
C'est que, voyez-vous, l'Inde, ça vous désordonne les références. Un peu comme quand la température est tombée à 30°C la deuxième semaine de mes vacances et que pour la première fois de ma vie je me suis dit que 30°C, c'était la fraîcheur à l'état pur. (Même que quand la température est tombée à 28°C j'ai pris ma première douche chaude du voyage, parce que pfiou, il faisait frisquet, un peu).
Eh ben pour le retour à Paris, c'était pareil. Je suis arrivée à Paris un samedi soir, j'ai pris une grande inspiration d'air pur, j'ai écouté le doux bruit sourd des voitures sur le boulevard, et j'ai eu un peu la même sensation que quand j'arrive chez moi au bord de la mer en Bretagne après six mois à Paris. Vraiment. Comme quoi, tout est relatif.
Non parce qu'entendons bien : j'ai adoré - adoré - Bombay. C'était un des plus beaux voyages de ma vie. Mais y a rien à faire, c'était un voyage fatigant. Parce que je passais plusieurs heures par jour à marcher dans la ville, qu'il faisait chaud, et que Bombay c'est une ville très peuplée, active et bruyante, avec, j'en ai déjà parlé, des bus, des motos avec des familles de cinq dessus, des voitures, des rickshaws et des passants partout qui vont dans tous les sens, le tout dans la chaleur et un nuage permanent sur la ville de pollution et de poussière qui fait que le soir quand tu te démaquilles ton coton est noir (alors qu'à Paris, il est juste gris).
Ce qu'on appelle une grande ville, donc. Quelques chiffres pour illustrer : En 2011, il y avait 12 478 447 habitants à Bombay. Une ville de 603 km carré. (Au même moment, Paris intramuros comptait 2 200 habitants pour une superficie de 105 km carré).
En fait, Bombay compte tout juste un peu plus d'habitants que "l'aire urbaine" de Paris, à savoir toute l'Ile de France et une partie des régions qui l'entourent. Sauf que cette aire urbaine fait 17 175 km carré, soit 28 fois plus que Bombay intramuros.
Bref, tout ça pour dire que Bombay, c'est une très grosse ville.
Dans les faits, cela dit, il n'y a pas tellement plus d'habitants au kilomètre carré qu'à Paris intramuros (j'imagine d'ailleurs que j'aurais été tout aussi claquée si j'avais fait deux semaines de tourisme à Paris). La densité de population est la même, donc (environ 22 000 habitants au kilomètre carré) (oui je sais ça fait flipper). Sauf que 1) Bombay c'est six fois plus gros que Paris et 2) en plus j'y étais en pleine semaine de Diwali.


Diwali, c'est - en gros - le nouvel an indien. C'est une semaine de fête nationale. La fête elle-même dure cinq jours, qui sont donc fériés, et du coup 1) tous les Indiens sont en vacances et viennent à Bombay faire du tourisme et 2) ils sont tous dehors le soir parce qu'il fait chaud et que c'est la teuf (pour Diwali, on tire des feux d'artifice tous les soirs pendant cinq jours).
Disons en gros que j'étais à Bombay la seule semaine de l'année où c'est le 14 juillet tous les soirs. (Quoique y a aussi la fête où on se jette des pigments à la gueule dans tout le pays et où tout le monde finit rose et bleu - fête qui a l'air pas mal, aussi, niveau bordel).
C'était une semaine fantastique, hein, loin de moi l'idée de me plaindre, je suis ravie d'avoir vécu ça, mais ça explique aussi pourquoi j'ai trouvé Bombay aussi surpeuplé.

Mais revenons-en à Diwali :
Diwali, en gros, c'est le nouvel an pour les hindous (et les sikhs et les jaïns). On l'appelle la fête des lumières parce que pour Diwali, on tire des feux d'artifice et on allume des lampions de couleur dans toute la ville. Ces lumières sont censées éclairer le chemin pour le retour de Rama, un roi hindou et avatar de Vishnu qui dans la mythologie hindoue serait revenu en héros après 14 ans d'exil (pourquoi, comment, ça j'ai pas bien compris, mais bref, c'est une fête très importante).


Pour cette nouvelle année, on fait la fête, on s'offre des cadeaux et on prie toutes sortes de dieux - en particulier Lakshmi, la femme de Vishnu, qui est la déesse de la richesse intérieure et de la richesse tout court. Les gens la prient et lui font des offrandes (des fleurs, surtout) pour qu'elle leur apporte richesse et prospérité pour la nouvelle année qui commence. J'ai été au temple le jour de Diwali où on prie Lakshmi (elle a apparemment un jour à elle) et j'ai fait la queue une heure entière pieds nus dans un océan de saris multicolores (les femmes font la queue séparément des hommes) avant de pouvoir atteindre l'autel et me faire poser un bindi en pigment orange sur le front, c'était super. Il y avait un monde terrifiant et on nous faisant avancer comme du bétail, un peu comme pour Space Mountain, et puis le mec a foiré mon bindi parce qu'il y avait tellement de monde qu'il me l'a fait super vite et de loin (ouin) mais c'est pas grave, c'était top.


Pour Diwali, les gens ornent tous leurs fenêtres de petits lampions colorés, dessinent des sortes de petites rosaces colorées en pigments purs partout sur le sol dans la ville, font brûler des bougies entourées de fleurs chez eux et dans des petits temples improvisés aux pieds des arbres en pleine rue, et collent des petits pieds de Lakshmi devant leur porte pour signifier à la déesse qu'elle est la bienvenue chez eux (un peu comme quand on ouvre la fenêtre de sa chambre la nuit pour dire aux vampires d'entrer) (vous fermez bien votre fenêtre la nuit, dites ?) (pas de blague, hein ?).
Bref, c'est super beau. Et le grand soir de Diwali, à la fin des cinq jours, on tire des feux d'artifice dans toute la ville et surtout sur Marine Drive, la grande avenue le long de la mer, qui est blindée de monde (surtout des hommes - c'est impressionnant à quel point on voit plus d'hommes que de femmes, dans cette ville). Les enfants allument des pétards, font brûler des petits bâtons qui envoient des étincelles (comme les trucs qu'on met sur les gâteaux pour les anniversaires) ou encore lancent dans le ciel des lanternes lumineuses (avec une bougie dedans) qui, une fois décollées, montent dans les airs comme des ballons. C'est magnifique.


Ce jour-là comme les autres jours, il m'a semblé encore une fois être davantage prise en photo que les feux d'artifice eux-mêmes, ce qui était pour le moins déroutant, mais ça n'en était pas moins somptueux.

Oui parce que, aussi étrange que ça puisse paraître, les indiens adorent prendre les étrangers en photo. Ou plutôt se prendre en photo avec des étrangers (certains me fourraient carrément leur bébé dans les bras pour prendre une photo, sans prévenir). (Quoiqu'il arrive également fort souvent qu'ils demandent à être pris en photo seuls, parfois même sans demander à voir la photo après coup, juste pour le plaisir d'avoir leur image dans l'appareil d'un inconnu (?!)).
Mais surtout, ils veulent se prendre en photo avec toi. J'en ai parlé dans mon premier post, j'avais trouvé ça rigolo. Au bout de deux semaines, ça me faisait moins marrer. Surtout quand j'ai réalisé que quand ils me voyaient, ils sortaient immédiatement leurs appareils photo avec une excitation qui n'allait pas sans rappeler la mienne quand je voyais un macaque (j'ai pris beaucoup de photos de macaques).



Les macaques, c'est - en fait - pas gentil du tout. 
Un macaque, ça te fonce dessus dès que tu as le malheur d'avoir un truc à la main et ça te pique tout ce que t'as (surtout si ce que tu as se mange ou se boit), et ce sans trop de difficulté parce que je vous assure que quand un singe te fonce dessus, tu lâches ce qu'il convoite en deux-deux avant de détaler sans demander ton reste. (Bon, ensuite il galère un peu pour boire les bouteilles qu'il a piqué, mais c'est une autre histoire).


J'avais un peu l'impression d'être un animal dans un zoo, donc.
Cela dit, j'ai moi-même pris beaucoup de gens en photo juste parce qu'ils étaient indiens et donc exotiques pour moi (surtout des femmes, elles sont si belles avec leurs saris de toutes les couleurs), et ce sans toujours leur demander la permission, donc qui suis-je pour me plaindre ? Petite japonaise que je suis (j'ai pris un petit total de 1500 photos), j'ai par ailleurs bien profité du fait que - contrairement aux gens dans la plupart des pays - les indiens aiment être photographiés.
 

Pas tous, cela dit ;)

Mais c'était moi la touriste et eux les autochtones : il semblait donc logique que ce soit moi qui veuille les photographier eux et non l'inverse.
Le fait qu'on me photographie ou du moins qu'on veuille sans cesse me photographier (j'ai vite fini par refuser) m'a d'abord surprise, ensuite amusée, puis pas mal agacée. Surtout quand j'avais dit "non" à un énième groupe d'ados qui voulaient une photo avec moi et que deux minutes plus tard je les choppais en train de poser à mes côtés pendant que je regardais ailleurs. Beaucoup d'enfants aussi venaient timidement me saluer et me serrer la main avant de repartir, ravis, un peu comme s'ils venaient de croiser Ronald McDonald.
Très étrange, cette sensation d'être une attraction. Si on retourne la situation, c'est un peu comme si, à chaque fois que je croisais un touriste chinois à Paris, je l'arrêtais pour faire un selfie avec lui sur mon téléphone portable.
En même temps, quand j'y pense, je n'aimerais pas tellement que des touristes demandent à me photographier à Paris non plus. Or, je me suis, moi, permis de photographier un monde fou. Ils avaient généralement l'air soit ravis, soit indifférents, mais finalement ils auraient été en droit de trouver que c'était moi qui les prenais pour des bêtes de foire.
Bref. Les indiens à qui j'ai parlé de cet intérêt fou qu'on me portait dans la rue m'ont dit que c'était pour pouvoir ensuite montrer les photos aux gens et leur raconter que j'étais "leur amie française" - mais en quoi est-il si valorisant d'avoir une amie française ? Et puis si le pays entier s'adonne à cette petite supercherie, ça perd un peu de son intérêt, non ? Ils doivent en avoir un paquet, tous, des amis étrangers fictifs, à ce rythme là.
Bref, encore une fois, petit choc des civilisations.

Les indiens m'ont donc à force un peu gonflée avec leurs histoires de photos. Mais à part ça, absolument personne ne m'a "emmerdée" - au sens "se faire emmerder dans la rue" - de quelque façon que ce soit.
Je vous ai dit dans mon dernier post que j'avais montré mes épaules, les premiers jours, en me promenant en débardeur, et que ça n'avait semblé gêner personne. Eh bien quand Lady V - qui a habité à Bombay pendant quatre ans il y a maintenant quelques années - m'a rejoint au bout d'une semaine, elle m'a grondée comme une enfant : montrer ses épaules, en Inde, ce ne serait pas acceptable. Elle m'a affirmée que pour un indien, si je montre mes épaules, c'est que je suis une pute. Et une pute gratuite, qui plus est. Point. Que me promener en débardeur à Bombay, c'était comme prendre le RER en petite culotte à Paris (ce que semble, vous en conviendrez, assez osé).
Or, je m'étais sentie beaucoup moins nue en montrant mes épaules dans les rues de Bombay qu'en portant, disons, une jupe courte - et par là j'entends au dessus du genou - en été à Paris. (Ce que je n'ai pas fait depuis bien des années et ne ferai plus jamais de ma vie, croyez-moi). Je n'avais vraiment pas eu l'impression d'être regardée comme si j'étais à poil, pas du tout comme ce jour à Istanbul il y a presque dix ans où j'ai dû rentrer à l'hôtel pour me changer tant ma jupe au niveau du genou me valait de regards réprobateurs voire agressifs.
Mais qu'importe, Lady V a réussi, en l'espace de deux minutes, à me faire me sentir plus nue et exposée que tous les indiens de Bombay en une semaine. Et je ne mets pas sa parole en doute : elle parle hindi, elle a vécu en Inde, elle sait ce que les mecs disent des occidentales en tenue légère derrière leur dos. N'empêche que, si je me suis couvert les bras après son arrivée, c'est finalement davantage pour éviter son regard désapprobateur à elle que celui des hommes indiens qui, s'ils n'en pensaient pas moins, ne m'ont pas donné le sentiment qu'ils me jugeaient. Les femmes non plus, d'ailleurs.
J'ai demandé à des indiens de notre âge (des potes d'une française qui habitaient là) si les gens allaient vraiment penser que j'étais une pute si je montrais mes épaules dans la rue, et ils ont tout les deux démenti. Mais ils parlaient évidemment en leur nom de riches petits hipsters indiens et occidentalisés. L'un d'eux m'a ensuite confirmé que l'indien lambda risquait en effet de juger que j'étais une petite traînée occidentale si je montrais mes épaules. Donc bon. Ca a probablement été le cas. Ok. Mais je ne peux soutenir qu'une chose : on ne me l'a pas fait sentir.
C'est peut-être que, finalement, j'avais moins l'air d'une traînée que ce à quoi ils auraient pu s'attendre, vu l'image des femmes occidentales - ou du moins occidentalisées - véhiculée par leurs films. Illustration :


Ceci est une image de Queen, le film que j'ai vu à l'aller dans l'avion. 
A gauche, la franco-indienne occidentalisée qui accueille l'héroïne à Paris : elle a un grand coeur mais fume, boit, est tout le temps à poil, et couche avec tout le monde.
A droite, la petite indienne pur jus qui prend doucement son indépendance : elle s'émancipe pendant le film, mais sans jamais montrer ses jambes, hein, parce que bon, quand même. (Cela dit, montrer tes genoux quand tu ne l'as jamais fait ou n'as jamais vu personne le faire, je conçois que ça revienne un peu à montrer ses tétons en pleine rue pour une française, hein).
Du coup, maintenant que j'y pense, je m'étonne de n'avoir pas reçu davantage de regards réprobateurs - mais à cause du surplus de tissu sur mes jambes, surtout. Ils ont dû être déçus...

Bref, voilà pour la seconde moitié de mon récit de voyage.
(To be continued). (Quel suspense).